En novembre 1945, Ambroise Croizat arrive au Ministère du travail pour mettre en place l’ordonnance d’octobre instituant la Sécurité Sociale. En quelque mois, avec l’appui des syndicalistes de la CGT, il crée le réseau des caisses primaires d’assurance maladie et d’allocations familiales, qui révolutionne la vie des classes populaires en les délivrant de la peur du lendemain. Aujourd’hui pourtant, ni les manuels d’Histoire ni même l’Ecole Normale Supérieure de la Sécurité Sociale ne mentionnent le nom de ce député communiste, éclipsé par le haut fonctionnaire Pierre Laroque. Le documentaire de Gilles Perret entend réhabiliter la mémoire de cet unique ministre du travail à avoir été issu de la classe ouvrière, retracer l’évolution de la Sécu et alerter sur les menaces qui pèsent aujourd’hui sur elle.

La Sociale a pour fil rouge le récit ému de la vie d’Ambroise Croizat par Michel Etiévent, historien qui consacre sa vie à rappeler celle de l’homme qui lui permit, à lui petit-fils d’ouvrier, grâce à la création des comités d’entreprises, de partir en vacances, d’avoir accès à des livres et à des bourses d’études. Autour de lui convergent les témoignages de sociologues, de la fille de Croizat et surtout de Jolfred Fregonara, « dernier poilu de la Sécu » qui œuvra à sa mise en place en Haute Savoie. Ensemble, ils évoquent le rapport de forces ayant permis cette avancée sociale que les patrons voyaient d’un mauvais œil (menaçant à l’époque de se délocaliser dans les colonies…), la conviction qui guidait toute une génération de politiciens issus du Conseil National de la Résistance que le politique doit commander l’économique et non l’inverse, mais aussi les attaques que « la Sociale » subit depuis 1967.

Le film se clôt ainsi sur les déclarations consternantes d’Anne Gervais, porte-parole du Mouvement de défense de l’hôpital public, expliquant comment le fameux « trou de la Sécu » qu’on voudrait imputer aux inconséquences des citoyens résulte surtout de la complaisance du système envers les laboratoires pharmaceutiques, qui surfacturent allégrement le prix de leurs médicaments. Emouvante contribution à la mémoire ouvrière, La Sociale se mue alors en sonnette d’alarme salutaire.

Florine Lebris