« Filmer les humains aux prises avec un système tel que le concours d’une grande école me passionne et c’est pour cela qu’il est impossible à mes yeux de le psychologiser en suivant un participant en particulier, qu’il soit jury ou candidat. Ce que nous voyons est l’histoire de tous, une chose publique pensée par la République. Cette chose n’est pas immuable ou immobile. Et c’est en connaissant ce lieu de sélection, de jugement qu’on peut mieux mesurer qui nous sommes, nos idéaux, et nos aveuglements. » Co-directrice de la section réalisation de la Fémis depuis 2006, Claire Simon a voulu faire connaître à l’extérieur les mécanismes de recrutement de la prestigieuse école. Aussi filme-t-elle non seulement les épreuves des candidats, mais également les très révélatrices délibérations du jury. Avec leurs mines dubitatives face aux candidats « qui ne s’exprime[nt] quand même pas très bien » et leurs expressions béates devant des candidates « touchante[s], sans grande qualité mais équilibrée[s] », les membres du jury offrent à la documentariste du pain bénit pour monter une tragi-comédie sociale qui choque autant qu’elle amuse, la plupart du temps dans un même mouvement. La spécificité du concours de la Fémis est en effet son recrutement par cooptation. Les membres du jury, parmi lesquels on peut repérer quelques « fils et filles de », sont des professionnels du cinéma qui choisissent ceux qui vont leur succéder. Ils affrontent donc un sacré dilemme : un puissant mécanisme d’identification les pousse à choisir des jeunes gens qui leur ressemblent, tandis que leur conscience éthique ou politique leur intime de diversifier la population de l’Ecole en pratiquant la discrimination positive. Si cette conscience est atrophiée chez certains membres du jury, d’autres veillent passionnément à limiter la reproduction de l’entre-soi, notamment la monteuse Christel Dewynter, avec un aplomb admirable. Sans aucun commentaire, par la seule grâce de l’intelligence du montage, Claire Simon réussit à nous faire beaucoup rire et réfléchir sur un processus de sélection qui favorise toujours les mêmes, comme en témoigne la photographie finale, malgré les bonnes volontés.

Florine Lebris