Depuis la mort de sa femme, Denis Patar (Gustave Kervern, touchant de naturel) est débordé par la gestion du quotidien de ses deux petites filles (Fanie Zanini & Héloïse Dugas, casting impeccable, avec un mérite particulier pour la seconde qui réussit la composition périlleuse d’un personnage tiraillé par des tics nerveux). Un soir de trop où sa cadette atterrit au commissariat parce qu’il n’est pas arrivé à temps à l’école, un policier émet un signalement. Denis est alors convoqué par l’Aide Sociale à l’Enfance pour un stage de responsabilité parentale. S’il ne réussit pas l’audition finale, il risque de perdre la garde de ses filles…

A l’heure du libéralisme triomphant, l’Etat a si bien absorbé l’esprit du capitalisme qu’il tend à appliquer son idéal à tous les aspects de la vie sociale. La parentalité elle-même devient soumise à des critères d’efficience. En effet, dans le langage des technocrates, « être un bon parent » exige des compétences d’éducateur, évaluables au même titre que l’acquisition de la lecture chez les enfants scolarisés. Depuis 2007, la « loi relative à la prévention de la délinquance » prévoit même un dispositif consistant, après stigmatisation de familles à risque, à imposer aux « mauvais parents » un stage de reformatage. Cigarettes et chocolat explore pertinemment les diverses déclinaisons de cette intrusion croissante de l’Etat dans la vie privée des individus, qui aboutit à la standardisation de toutes les existences. Un parallèle se dessine entre le père et la fille aînée, respectivement repris en main par la justice et la médecine. L’adolescente, stressée par la nécessité d’apparaître la plus normale possible aussi bien auprès de l’assistante sociale que de ses camarades collégiens, est soudainement envahie de tics nerveux irrépressibles. Loin de la rassurer sur son droit à la différence, psychiatre et psychologue, en bons chiens de garde de l’ordre dominant, s’empressent alors de lui proposer les médicaments et la thérapie comportementale lui permettant de rentrer rapidement dans la norme. Sophie Reine décrit la résistance loufoque de cette famille qui, à défaut d’être rigoureuse sur la ponctualité ou la correction du langage, fait vivre des valeurs qui ne méritent pas de devenir anachroniques : la fantaisie, la liberté, et la certitude qu’« un autre monde est possible ».

F.L.