Alain Guiraudie a l’art de filmer ce que les autres ne filment pas. Loin de s’arrêter sur les petites névroses d’une classe moyenne supérieure urbaine, il nous amène à la suite de son anti-héros à la découverte des bergers du Causse Méjean, d’une guérisseuse du Marais Poitevin et des sans-abris de Brest. Sa caméra bringuebale sur les routes de campagne et scrute sans trouver le loup toujours susceptible de surgir des grands espaces du Causse. Elle prend le temps de s’arrêter dans sa course pour rencontrer les personnages hauts en couleur, difficiles d’accès mais non moins attachants, que réserve le long du chemin. Des hommes qui vivent reclus, oubliés, à l’écart du reste de la société, mais qui continuent à se lever tous les jours, chacun s’accrochant à ce qui l’aide à rester debout, que ce soit ses brebis, Pink Floyd ou la sorcellerie du bayou... Des hommes qui continuent à désirer, aussi, et à perpétuer le cycle de la vie. Alain Guiraudie ne nous en cache rien, n’hésitant pas à filmer toute la crudité d’un accouchement qui provoquera moult cris d’orfraie, et même une scène qui restera dans les annales où petite et grande morts se confondent sur les riffs langoureux de la guitare électrique de David Gilmour. A partir d’un fond hyperréaliste, le réalisateur se permet quelques embardées fantastiques. A la faveur de la nuit, il nous plonge dans des ambiances quasi-hallucinatoires où l’abandon, l’infanticide et la dévoration menacent les êtres vulnérables, autant de visions cauchemardesques qui sondent cette fois l’humain jusqu’au tréfonds de ses frayeurs les plus intimes.

F.L.