"Nous passons notre temps à faire des films où nous sommes éradiqués par des zombies, des bombes nucléaires, des épidémies, des robots, des extraterrestres, de petits gremlins… Nous adorons ça ! Mais où sont les films qui parlent du contraire ? Ceux où nous nous rassemblons et où nous résolvons les problèmes ? Nous n’en avons pas vraiment… L’être humain est tellement ingénieux, tellement créatif. Nous pourrions faire des choses extraordinaires, mais pour ça nous avons besoin de nous raconter ces histoires. Avoir une vision, raconter une histoire, c’est comme de jeter devant soi un tourbillon qui vous entraîne..."

----------------------------------------------- Rob Hopkins

A partir du moment où ils ont pris connaissance du rapport publié par Nature en juin 2012 annonçant qu’une sixième extinction massive des espèces animales serait inéluctable si on ne changeait pas radicalement de cap dans les vingt prochaines années, Mélanie Laurent et Cyril Dion, co-fondateur du mouvement Colibris, ont décidé de réagir avec les moyens qu’ils avaient à leur disposition. Regroupant des amis techniciens du cinéma, ils sont allés rencontrer et filmer les pionniers du changement aux quatre coins du monde afin de nous permettre d’imaginer ce que pourrait être le monde de demain si nous relevons nos manches dès aujourd’hui.

Le montage de Demain obéit à un dispositif tout à fait pédagogique. Mélanie Laurent joue le rôle du citoyen lambda en posant des questions naïves auxquelles Cyril Dion répond en mots et en images. Le documentaire est découpé en cinq chapitres qui découlent logiquement les uns des autres et dont l’articulation rend intelligible le caractère systémique des problématiques liées à l’alimentation, à l’énergie, à l’économie, à la démocratie et à l’éducation. Le premier d’entre eux s’ouvre sur la mise au jour d’une vérité contre-intuitive : 75% de la nourriture destinée aux hommes produite mondialement vient (déjà) des petites exploitations pas ou peu mécanisées, et non des parcelles géantes des multinationales de l’agro-alimentaire qui produisent majoritairement des agro-carburants ou des céréales destinées à nourrir le bétail. Les chapitres suivants tentent de démêler les nombreux facteurs qui expliquent pourquoi, alors que l’agriculture écologique a parfaitement la capacité de nourrir le monde, nos gouvernements ne l’encouragent pas davantage. Le deuxième commence ainsi par rendre compte de la mainmise des puissants lobbies des grandes compagnies pétrolières sur les politiciens et de la nécessité, pour être en mesure de se passer d’elles, de développer les énergies renouvelables, mais aussi de réduire notre consommation d’énergie en développant l’économie circulaire. Le troisième chapitre montre en quoi cela nécessite d’abandonner notre modèle économique productiviste, donc de s’émanciper des banques et de leurs agents qui imposent la croissance comme fin en soi. Il nous emmène à la rencontre des villes qui ont développé des monnaies alternatives qui, désolidarisées d’une économie financiarisée plus propre à multiplier les dividendes que les emplois et le lien social, favorisent quant à elles la densification et la diversification des entreprises locales. Afin d’élucider pourquoi ce modèle économique répondant nettement mieux aux besoins humains n’est pas celui que nos représentants favorisent dans leurs lois, le quatrième chapitre se penche sur la question du déficit de démocratie dans nos oligarchies (à peine) dissimulées. Enfin, parce que le changement passe par notre capacité à prendre en main nos affaires et que cela devrait s’apprendre dès le plus jeune âge, le cinquième chapitre nous emmène en Finlande où l’autonomie, le respect de la différence, l’aptitude au dialogue sont cultivés dans des écoles où l’évaluation n’existe pas afin que la coopération prime sur la compétition.

On peut toujours reprocher à Demain la pertinence de certains de ses exemples, ses affirmations rapides concernant les énergies renouvelables, son survol de l’explication de la création monétaire. Même si le citoyen bien informé n’apprendra pas grand-chose, le documentaire a néanmoins l’immense mérite de constituer une sorte de schéma-mémorandum animé qui désembrume l'esprit en lui offrant une vision synoptique des différents domaines interdépendants sur lesquels il convient d’agir simultanément en vue d’une transition écologique. Cerise sur le gâteau, le joli travail qu’effectue Alexandre Léglise à la photographie produit une belle adéquation du fond et de la forme. Ses compositions jouant sur la prédominance du bleu et du vert, comme la mosaïque des personnalités interviewées partout dans le monde témoignent au-delà des arguments intellectuels à quel point l’humanité peut être inventive et la nature de toute beauté.

F.L.