« Loving », c’est le patronyme on ne peut plus ad hoc de Robert, homme à la peau blanche, Joel Edgerton), tendrement amoureux de Mildred, femme à la peau noire, (Ruth Negga). Puisque la loi de l’Etat de Virginie dans lequel ils résident le leur interdit, Robert mène son amie à l’autel dans l’Etat voisin, qui autorise les unions « interraciales ». Pour lui, ce n’est en rien un acte de désobéissance civile, simplement un acte d’amour. Cette évidence n’est pas partagée par les administrateurs de Virginie, qui veulent à tout prix empêcher le couple de vivre ensemble à cause du risque que leur union n’entraîne la procréation d’enfants métis, donc bâtards (l’argumentation est courte, mais c’est la leur).

Pour raconter cette touchante histoire vraie, qui finit, grâce au concours des militants de l’ACLU (Union Américaine pour les Droits Civiques), par aboutir devant la Cour Suprême et faire changer les lois, Jeff Nichols s’est inspiré d’un documentaire sur l’ « affaire Loving contre l’Etat de Virginie ». Grâce à lui, il a ainsi pu reconstituer fidèlement les scènes de la vie quotidienne du couple. S’étendant sur les neuf années durant lesquelles le couple dut vivre en exil à Washington ou bien illégalement en Virginie, dans l’angoisse continuelle d’une descente de police, son film témoigne des pertes et des regains d’espoir de cette famille mais surtout de la permanence de leur amour. Pour interpréter ce couple exemplaire, Jeff Nichols aurait pu choisir les hyper glamour et « bankable » Brad Pitt et Golshifteh Farahani. Plus judicieux, il confie le rôle de Mildred à Ruth Negga, parfaite en femme perspicace comprenant très bien la nécessité d’utiliser la presse et les associations de défense des droits civiques pour se défendre, et reste fidèle à l’excellent Joel Edgerton, impressionnant en bloc de silence et de tendresse. Le Robert Loving qu’il compose est sans doute la plus belle réussite du film, car il offre une image très émouvante de ce qu’est la virilité délestée du virilisme : une dignité d’honnête homme reposant davantage sur sa droiture que sur l’usage de sa force physique. Habitués à voir des films où les personnages masculins répondent à la police par les poings, on est positivement surpris de ne jamais voir le chef de famille dépeint par Jeff Nichols recourir à la violence. Le réalisateur montre comment il construit sa dignité ailleurs, en protégeant sa famille, en bâtissant une maison pour abriter les siens, en « prenant soin » d’eux. Avant d’être un brûlot antiraciste, Loving est donc un plaidoyer antisexiste par l’image. Magnifique.

F.L.