En 1975, suite au succès de La Montagne sacrée, le producteur Michel Seydoux, séduit par l’inventivité de Jodorowsky, lui propose de financer le projet de son choix. Sans l’avoir lu mais parce qu’un ami lui en avait décrit la facture exceptionnelle, l’artiste à l’ego surdimensionné propose d’adapter le monument de science-fiction de Frank Herbert, Dune. Porté par ce producteur qui lui laisse toute latitude, il ambitionne la création d’un film-prophétie qui, en repoussant les limites de l’imagination plus loin qu’aucun cinéaste ne l’a jamais osé, ouvrirait les esprits de la jeune génération et leur montrerait la voie du cinéma du futur. Pour bâtir une telle œuvre, il veut s’entourer d’une équipe exclusivement composée de « guerriers spirituels », c’est-à-dire de génies plaçant l’art au-dessus de tout. Jodorowsky nous raconte comment il a séduit, les uns après les autres, les rares artistes qu’il jugeait à la hauteur : Mœbius, H. R. Giger, Dali, Orson Welles, Mick Jagger, les Pink Floyd... Ses récits insolites alternent avec les témoignages des principaux intéressés qui expriment à quel point, même sans aboutir, ce projet a bouleversé leur vie artistique. Le tout nous permet d’appréhender Jodorowsky dans toutes ses contradictions. En effet, si son ambition esthétique est indéniablement une bouffée d’oxygène dans un milieu artistique sclérosé par les diktats de la rentabilité commerciale, on est en droit de le regarder d’un œil amusé en appeler à une élévation spirituelle tout en exsudant par tous les pores une outrecuidance vulgaire. Cet aspect insupportable du personnage ne réussit pas à nuire au documentaire, dont le trésor réside davantage dans les nombreuses vignettes du storyboard mythique qu’il nous permet de découvrir. En les croisant dans un habile montage avec des extraits des block-busters de science-fiction réalisés dans les années qui ont suivi l’abandon du projet, Franck Pavich fait la démonstration de l’influence épatante qu’a exercé, grâce à sa force visionnaire, une œuvre pourtant jamais réalisée. Et réussit à nous faire rêver à notre tour, devant les somptueux croquis de H. R. Giger et Mœbius, à ce qu’aurait pu être et que ce sera peut-être un jour le seul, l’unique, le phénoménal Dune de Jodorowsky.

F.L.