Il y a des films que l’on cite toujours quand on parle de John Carpenter, que ce soit The ThingLe maître des ténèbresL’antre de la folie ou Halloween . Dans les cercles d’initiés des fans du maître charpentier, on évoquera également Fog ou Le 3ème volet d’Halloween qu’il a produit. Pour autant il y a bien une de ses réalisations oubliée de tous dont on évite de parler, Les Aventures d'un homme invisible. À l’instar du Starman qu’il signa dans les années 80, cette nouvelle variation autour de l’homme invisible est une excellente comédie romantique matinée de fantastique qui s’avère très différente des films angoissants de son auteur. Tendre, émouvant, ce divertissement classieux a plutôt bien vieilli et reste aussi agréable à voir qu’au moment de sa sortie.

Mais que raconte le film :

A la suite d'un accident au laboratoire de recherche Magnascopics, où il se trouvait, Nick Halloway devient invisible. Il peut alors découvrir à son corps défendant les effets des étranges expériences du laboratoire. Mais cette nouvelle qualité ne l'empêche pas d'être en danger. Une seule personne peut l'aider, Alice, sa dernière conquête amoureuse.​​​​​​​

Pour analyser ce film, il nous faut d'abord évoquer son interprète Chevy Chase. Peu connu en France, il a été une figure très populaire de la télévision avec le Saturday Night Live dans lequel il est apparu dès sa première saison. Il fut également une valeur sûre du box-office US avec le carton de Bonjour les vacances écrit par John Hughes. Ce film était inspiré par une nouvelle du National Lampoon célèbre journal satirique américain que nous avions déjà évoqué avec American College. A ce titre, les deux réalisations ont la mention National Lampoon pour leur titre en VO. Il faut bien avoir conscience que Bonjour les vacances est un classique de la comédie américaine multi rediffusé au USA que tous les gamins connaissent par cœur. Il jouera également dans Fletch aux trousses, monument de la comédie policière américaine où il joue un journaliste d’investigation qui se grime en de nombreux personnages.
Dans les années 90, sa carrière connaît un fort ralentissement, l’acteur souhaite alors trouver des rôles plus dramatiques.
Les aventures de l’homme invisible est un projet qui lui tient à cœur. Producteur, il détient les droits du livre Memoirs of an Invisible Man d’ Harry F. Saint qui inspire le film. Ivan Reitman est chargé de la réalisation, mais Chevy l’aurait évincé, car la première version que le cinéaste signe avec William Goldman lui semble trop portée sur la gaudriole. Il pense alors à Carpenter dont le Starman lui a fait forte pression. On peut accorder à l’homme d’avoir du goût.
John Carpenter est en difficulté commercialement avec un Hollywood qui semble lui faire payer les résultats très moyens de The Thing et Jack Burton. Il va accepter la commande, espérant ainsi retrouver des budgets convenables pour ces prochaines réalisations. En effet, ces derniers long-métrages Invasion Los Angeles et Le prince des ténèbres sont des réussites, mais elles ont été fabriquées avec des moyens microscopiques et ont accès à un circuit de distribution réduit.
Dans un rôle plus dramatique qu’à l’accoutumée le clown Chase se retrouve dirigé par le maître de l’horreur dans un film qui rappelle les comédies romantiques d’antan. Le public ne suivra malheureusement pas malgré des effets spéciaux assez bluffants à l’époque avec le recours à l’image de synthèse. Les quelques échos sur le tournage évoquent des relations plus qu’ombrageuses entre un Chase tout puissant et John Carpenter, l’acteur étant connu pour son caractère ingérable comme peut en témoigner Dan Harmon sur la série Community qui batailla pendant 4 saisons avec l’interprète sublime de Pierce Hawthorne qui semblait selon certains sur le plateau aussi détestable que son personnage de fiction.

Les aventures de l’homme invisible est un film fascinant dans la manière qu’il a de mêler les effets spéciaux récents et le romantisme d’un autre âge. À une époque où le cinéma se destinait de plus en plus aux adolescents et usait de la gaudriole, le film ne recourt jamais à la grivoiserie, nous n'aurons donc pas le droit à l'habituelle visite des vestiaires d’une délégation de jolies gymnastes russes. Ce long-métrage privilégie plutôt un romantisme exacerbé à l‘instar de L'Aventure de Mme Muir. Nous avons donc affaire à un film très élégant où le cinéaste multiplie les travellings parfaitement chorégraphiés portés par une photographie des plus soignée. La mise en scène classique du maître sert avant tout son histoire d’amour comme dans cette scène mémorable où Daryl Hannah embrasse Chevy Chase dont le corps est révélé par la pluie tombante.

Malgré des séquences d’actions plutôt bien troussées, John Carpenter privilégie la quête existentialiste d’un homme pour retrouver son identité plutôt que de multiplier les péripéties. L’agent de la CIA parfaitement incarné par Sam Neil désigne Chevy Chase qui est courtier en bourse par une phrase qui résume bien le propos du film : "Nick Halloway était déjà invisible avant de le devenir réellement".

On pense à La mort aux trousses d’Hitchcock avec ses jeux sur l’identité et ce héros invisible qui est traqué et qui va acquérir par une série d’aventures une vraie personnalité. À ce titre, on retrouve une séquence mettant en scène le milieu ferroviaire dans les deux films. Très attaché à la réalisation classique, Carpenter emploie de simples champs contre champs pour nous montrer un héros invisible aux yeux des autres, mais qui essaye de conserver et renforcer son identité. Une mise en scène simple mais jamais simplette qui aurait pu s’avérer illisible et casse-gueule. Elle fonctionne pourtant parfaitement à l’écran et témoigne de la maîtrise du langage cinématographique par son auteur. Ne cherchant jamais l’effet pour l’effet et très attaché à la psychologie des personnages, le film use néanmoins d' images de synthèse révolutionnaires comme dans cette scène où l’on voit la fumée pénétrer dans les poumons de notre héros. On se rappelle aussi d'une scène de comédie où Chase explique désespéré à sa bien-aimée que l’assimilation d’éléments solides, est un spectacle un tant soit peu ragoûtant. Les effets digitaux ne sont jamais gratuits, ils sont là pour témoigner de l’état physique du personnage et rendre l’invisibilité plus vraisemblable.

Certains fans de John Carpenter déconsidèrent le film qui ne témoignerait pas du style du maître. Quand on sait l’admiration du cinéaste américain pour Hawks, Mankiewicz et consorts, il est évident que celui-ci a voulu signer une romance fantastique dans la tradition de l’Hollywood des temps passés avec son héros quarantenaire qui recherche avant tout l’amour. De même, on retrouve encore une fois le discours politique antisystème de Carpenter à travers le personnage de Sam Neill qui est l’incarnation d’un état fascisant comme dans New York 1997 ou Invasion Los Angeles.

Quant à Chevy Chase, il s’en sort très bien en James Stewart moderne. Il est aussi juste dans le registre dramatique que comique formant un joli couple de cinéma avec Daryl Hannah.

Une œuvre sensible et touchante, au romantisme parfois suranné, mais toujours élégante. Porté par d’excellents effets spéciaux, un joli film plus mineur chez Carpenter qu’un The Thing, mais qui reste une œuvre majeure dans le paysage fantastique du début des années 90.

Absolument délicieux !

Mad Will