Après s’être essayé au genre policier avec The Third Murder en avril dernier, le très prolifique cinéaste japonais Hirokaru Kore-eda (quasiment un film par an depuis les années 90) revient à son thème de prédilection : la chronique familiale. Comme un prolongement de Nobody Knows où une mère de famille laissait ses quatre enfants livrés à eux mêmes dans leur appartement, Une affaire de famille reprend le thème de l’abandon, mais du point de vue de ceux qui adoptent.

Après leur habituelle séance de vol à l’étalage, Osamu et son fils Shota découvrent sur un balcon Aki, une petite fille seule dans le froid. Immédiatement et malgré la grande précarité de son foyer, Osamu la ramène chez lui, un bouge où vivent déjà dans la plus grande promiscuité sa femme, la grand-mère (dernier rôle de Kirin Kiki décédée cette année) et sa fille aînée. Puisque personne ne réclame Aki et qu’elle présente des marques de violence, toute la famille s’accorde à la garder. Les affaires reprennent, le peep-show pour l’aînée, l’arrêt maladie pour le père doublé du chapardage organisé et l’usine pour la mère. Bien que peu commune, cette tribu recomposée semble très heureuse et aimante. Mais après une grosse bêtise de Shota, le petit dernier, et l’avis de recherche finalement lancé pour retrouver Aki, un grand secret se révèle, et c’est tout l’équilibre de la drôle de famille qui s’écroule. Dans l’explosion, c’est aussi le concept de la « famille » que Kore-eda attrape au vol. Un sujet qui résonne très bien de l’autre côté du continent où l’accueil spontané de personne en détresse ou encore l’adoption sont des pratiques très règlementées voire impossible.

Ce dernier film Kore-eda est comme toujours extrêmement attendrissant malgré la difficulté des thèmes abordés (séparation, pauvreté…), et pas seulement à cause des incroyables visages des enfants nippons aux grands yeux noirs, mais surtout parce qu’il dote son récit d’une grande générosité et d’une grande bienveillance, sans qu’il en devienne mièvre. En bon héritier de Yasujiro Ozu, il passe beaucoup de temps à filmer ses personnages dans l’intimité de leur foyer : le retour des « courses », le moment du dîner, à l’heure du thé et à celle de se coucher, avant de prendre un virage vers le drame social, au cours la deuxième partie du film.  Et même lorsqu’il quitte la tendresse (relative) de la routine familiale d’ouverture, Kore-eda conserve sa mise en scène épurée, tranquille et néanmoins précise.

Toujours fasciné par le dysfonctionnement des rapports humains, cette énième fable du cinéaste japonais n’est peut-être pas sa plus belle, mais surement la plus aboutie, ce qui n’a pas échappé au jury cannois devant lequel il se présentait en mai dernier pour la septième fois, avec l’immense honneur d’en revenir cette année palmé d’or.

Suzanne Dureau