Yu Guowei pourrait être un travailleur ordinaire perdu dans la masse des milliers d'ouvriers répartis sur les trois usines de sa ville du sud de la Chine. Mais il se distingue par son don d'observation hors du commun qui lui vaut le prestigieux surnom de « détective Yu ». Quand il apprend qu'un tueur en série sévit dans sa ville, il décide de prendre les choses en main en menant sa propre enquête en marge de celle du commandant qu'il admire.

   Une pluie sans fin joue avec les codes du film policier. Malgré la gravité du sujet, et l'atmosphère très pluvieuse de film à suspense (dans des décors industriels et ferroviaires de toute beauté), le ton dominant de la première partie est ainsi l'humour. Son protagoniste fait partie de la catégorie des inspecteurs Gadget, dont c'est la simplicité d'esprit qui s'avère par hasard précieuse conseillère dans la résolution d'affaires de meurtre. Cependant, même si cet anti-héros et ses méthodes très personnelles rendent d'abord le film plus comique qu'angoissant, leurs conséquences de moins en moins bénignes font croître progressivement le malaise, exhumant une couche plus profonde et plus noire de réflexion sur la propension de l'esprit humain à faire coller le réel avec ses fantasmes en abusant du biais de confirmation. A travers son protagoniste monomaniaque, sorte de Candide au pays du communisme, le cinéaste chinois Dong Yue interroge notre capacité à avoir la vision sélective, à nous obséder à faire exister dans le réel quelque chose qui n'existe (plus) que dans notre imagination et à l'inverse à rester aveugle à ce qui pourtant nous pend au nez. Situant le cœur de son récit à l'époque de la dénationalisation des usines, il dessine aussi ainsi l'allégorie de la cécité d'un peuple qui n'a rien vu venir et subit le changement sans réagir.

   Même s'il s'essouffle un peu dans sa deuxième partie, Une pluie sans fin est un premier film d'un aboutissement formel impressionnant, qui par l'originalité de son personnage principal, la beauté de ses décors et la précision de son découpage se hisse déjà à la hauteur de l'excellent Memories of murder de Bong Joon-ho. Comme son confrère, Dong Yue réussit le mélange détonnant de la gravité du sujet et de l'humour de la mise en scène. Un réalisateur à suivre !

Florine Lebris