En 2015, date de la sortie du film, Bernard Rose a été oublié par de nombreux cinéphiles. La plupart de ses dernières réalisations n’ont tout simplement pas été distribuées dans notre beau pays que ce soit en salle ou même en DVD.

Son dernier film Frankenstein doté d’un petit budget (environ 3 millions de dollars) réunit devant la caméra, Xavier Samuel vu dans Twilight et chez Anne Fontaine, Carrie-Anne Moss popularisée par Matrix et Danny Houston vieux compagnon de route de Rose. Après sa quadrilogie autour de Tolstoï en numérique, Bernard Rose s’attaque de nouveau à un chef-d’œuvre de la littérature : le Frankenstein de Mary Shelley iconisé au cinéma grâce aux films de James Whale avec Boris Karloff.

Plaçant fébrilement le DVD dans ma PS3, je m’interrogeais sur la capacité de Rose à réinventer un classique du cinéma. Après une heure et demie de film, la réponse était simple :  le cinéaste de Candyman signe l’une des meilleures adaptations de Frankenstein tout simplement.

Dans sa version du mythe, la créature s’appelle Adam et arrive au monde sous le regard émerveillé de ses créateurs, un couple de scientifiques. Adam est beau et fort, mais très vite son corps montre des signes de mutation des plus horribles. Ses créateurs finissent par le délaisser avant de décider finalement de l’euthanasier au fur et à mesure que son corps se désagrège. Refusant de mourir, Adam s’enfuit.

Si Shelley voulait en son temps écrire un Prométhée moderne, Rose en tant qu’humaniste n’est pas forcément intéressé par le caractère scientifique du mythe de Frankenstein. En nous plaçant, dès les premiers plans dans les pas de la créature grâce à une mise en scène qui multiplie les cadres serrés, il nous fait ressentir la violence avec laquelle le monde reçoit Adam. De ce fait, certains spectateurs se sont plaints de la présence réduite des scientifiques qui disparaissent au bout de dix minutes de film. Ce choix est pourtant d’une grande logique pour un Rose qui nous conte la chute d’un homme dont la mutation corporelle est l’illustration d’un déclassement social. Sous ce soleil écrasant de Californie, les sans-abri, les asociales sont devenus des monstres de sociétés modernes qui rejettent la différence. Très vite, ce beau film devient l’errance d’un homme rejeté par ses pairs dans un Los Angeles décadent où la misère transparaît à chaque plan. On retrouve ainsi avec plaisir l’acteur Tony Todd dans le rôle d’un joueur de blues aveugle. Le croquemitaine de Candyman joue à nouveau un laisser pour compte qui sera le seul à offrir son amitié à Adam. Ce personnage de joueur de blues noir est en effet la seule personnalité réellement humaine d’un monde gangréné par l’image de soi et l’argent.

Certaines âmes sensibles ont reproché sa violence au film. Je leur rappellerai alors les propos d’un Jodorowsky qui disait qu’un artiste devait avant tout faire une œuvre pour pousser ses spectateurs à vouloir changer le monde. Rose, tel un équilibriste, emploie le gore non pour choquer, mais pour nous déstabiliser. À travers l’identification à la créature qu’il opère, il multiplie les images-chocs pour nous faire réagir et nous montrer les limites de notre moralité quant aux agissements de la créature.  Il se situe ici dans les pas d’un Cronenberg qui utilisait le gore pour dénoncer une société aucunement civilisée.

Malgré certaines libertés prises avec le roman, Rose arrive à travers cette version du mythe à être fidèle à Mary Shelley dont il est l’un des seuls à reprendre véritablement les mots à travers la voix off de la créature.

Indépendant, unique, bouleversant, touchant, poétique, violent, ce Frankenstein est un magnifique mélodrame sanglant sur la différence.

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