Une fois n’est pas coutume, arrêtons-nous deux minutes sur le dernier blockbuster de Netflix, Bright, et sur ce qu’il représente.

Loin de la critique alarmée d’IndieWire (http://www.indiewire.com/2017/12/bright-review-netflix-will-smith-max-landis-david-ayer-worst-movie-2017-1201909960/) la sortie du premier film à gros budget produit pour et par Netflix vient prolonger le sillon creusé par la firme américaine après la polémique cannoise concernant Okja et The Meyerowitz stories. Alors que le CNC a publié le 2 janvier les chiffres de fréquentation de l’année 2017, année qui s’inscrit dans le top 3 des meilleures audiences depuis 50 ans, Netflix avec la sortie de Bright enfonce le clou en offrant comme perspective un cinéma à la maison de qualité, en ce sens où les films de la plateforme rivalisent désormais avec ce que l’on peut trouver en salle, ce qui implique un niveau technique et des moyens mis en œuvre identiques à ceux des studios. Que l’on s’entende bien, on parle ici de blockbuster, mais si vous avez vu le dernier Bong Joon-ho, la dernière réalisation de Baumbach ou l’excellent Mudbound vous savez que Netflix est tout aussi capable de produire des films d’auteurs d’excellente facture. La capacité des plateformes de VOD à se mettre au niveau des films que l’on trouve en salle et à offrir désormais aux réalisateurs un espace d’expression libéré de la frilosité des studios a de quoi questionner.

Alors que vaut Bright ?  Et bien en matière de mise en scène on peut dire qu’il tient la distance et qu’il offre un spectacle correct en comparaison des films de studios qui sortent en salles. Et même s’il possède des défauts et flirte parfois avec le nanar, il n’en reste pas moins très bien mené, visuellement débridé en raison d’une censure moins prononcée qu’en salles (pas de rating R pour Netflix) et généreux en termes d’action. Tiré d’un scénario original, Bright possède quelque chose d’assez inattendu : une certaine nouveauté.

Tout le monde sait qu’Hollywood ne prend plus aucun risque et d’ailleurs tous les blockbusters de 2017 (à quelques exceptions près) sont aujourd’hui des suites ou des remakes. L’arrivée d’un film ambitieux remet un peu de baume au cœur et continue de dégager une voie royale à la VOD qui offre des films assez audacieux entre œuvres hyper auteurisantes et blockbusters décérébrés. Avec son pitch hallucinant, Bright, a piqué notre curiosité.

L’histoire se passe à L.A. à notre époque mais dans un monde où cohabite les orques, les elfes, les fées et les humains. Coexistence difficile exacerbée par une culture de classe qui attribue aux orques les tâches ingrates et aux elfes la belle vie. Au cours d’une intervention, un duo de flic humain/orque se retrouve aux prises avec une secte maléfique qui cherche à ramener le seigneur des ténèbres.​​​​​​​

Bon, l’originalité est à relativiser puisque Netflix cherche clairement un univers à sérialiser avec des personnages d’heroic fantasy déjà installés et met aux commandes un réalisateur qui retourne à ses premiers amours comme End of Watch ou Training Day. Sur le papier ça ressemble à un foutoir sans nom. Et dans les faits aussi, mais bizarrement, ça fonctionne. L’idée des États-Unis comme terre du milieu ultime est intéressante et le film va même jusqu’à faire des policiers un gang à part entière. Un aspect cop movie qu’affectionne particulièrement David Ayer doublé ici d’un buddy movie qui repose sur la dynamique efficace du duo Will Smith/Joel Edgerton, deux acteurs intéressants qu’on a toujours plaisir à voir jouer.

Alors il y a évidemment des gros écueils scénaristiques : la question sociale et l’attribution des tâches est lourdement amenée pour finalement ne jamais être exploitée, le film souffre d’un visuel assez moche ainsi que d'une manie détestable de recourir à l’action dès que le l’histoire patine, et on discerne clairement des enjeux complétement inexploités parce que David Ayer s’en fiche. Bref, il y a cette sensation que beaucoup de choses ont été mélangées, mais étonnamment on adhère à cette proposition fantastique / SF / thriller, et à cette légende qui semble se dessiner sur plusieurs volets (Netflix a commandé une suite et Will Smith est confirmé). L’ensemble pose des belles promesses qui peinent à convaincre totalement mais qui donnent envie de voir la suite grâce à une mythologie qui a du potentiel. Les scènes d’action sont justes, l’évolution des personnages est globalement cohérente et le film développe une ambiance qui marche, épaulé par un casting 5 étoiles : Will SmithJoel EdgertonNoomi Rapace entre autres. On est loin de la série B fauchée et on peut dire que le pari est plutôt réussi pour Netflix.

Pour 90 millions de dollars, David Ayer a donc eu une grande liberté artistique pour mettre en scène son projet et offrir un divertissement correct. Difficile de mesurer les audiences pour les plateformes de SVOD car les chiffres ne concernent que les télévisions et non les tablettes, les ordinateurs ou les mobiles mais l’institut américain Nielsen avance le chiffre de 11 millions de vues.

Affaire à suivre donc concernant ce premier blockbuster Netflix, car les spectateurs ne semblent pas avoir boudé leur plaisir. On attend désormais avec impatience la sortie du prochain Scorsese, The Irishman, racheté par Netflix qui lui a alloué un budget de 125 millions de dollars

Thomas