La violence spectaculaire au sein des sociétés d’Europe de l’Ouest est celle des attentats terroristes, effusion qui cache la marmite bouillante d’une violence bien plus sourde et pernicieuse qui touche de plus en plus de millions de personnes à mesure que les conséquences de la crise économique s’étendent et se pérennisent. Colo ausculte à travers trois personnages principaux les multiples facettes de cette violence moderne : celle du chômage forcé des uns, du cumul des petits boulots des autres, et de l’absence de perspective des générations encore en étude. C’est toute la puissance de déliaison du capitalisme que pointe ainsi du regard la réalisatrice Teresa Villaverde, notamment lorsqu’elle montre que le chômage du père entraîne la détérioration des liens au sein d’une famille dont les membres ont de plus en plus de mal à se confronter les uns aux autres, miroirs de leur propre malaise psychologique. Ce faisant, elle détricote la mécanique mortifère d’une société de travailleurs sans travail : le vide des jours sans contact social, ou sans avenir pensable, conduit à l’isolement spatial, puis mental, à cette honte de soi qui fait envisager le suicide comme solution pour faire cesser les idées noires qui remplissent le gouffre des heures solitaires.

   Malgré la gravité de son sujet, Colo n’est pas un film oppressant. La chaleur de la photographie, tout comme l’empathie de la caméra de Teresa Villaverde qui conserve toujours une distance pudique, créent davantage l’attendrissement que la répulsion, même lorsque les actes des personnages expriment un profond mal-être. De plus, entre les interstices de l’attente et du silence, une bulle de décompression se fait jour. Comme dans un autre admirable long-métrage portugais sur les conséquences humaines de notre modèle économique producteur de chômage de masse, vu l’an dernier sur nos écrans, L'usine de rien, la réalisatrice filme ce qui apparaît comme le dernier vecteur de lien social et d'espoir : la musique punk. C’est elle qui remplit le vide en l’absence d’organisation politique permettant aux opprimés de tous les pays d’organiser la résistance, la création musicale devenant le prétexte de rassemblement des gens en dehors de la sphère concurrentielle, pour faire vibrer les corps tous ensemble là où la nécessité économique ou les idées politiques les divisent.

   Colo est ainsi le portrait doux-amer, composé de tableaux aux images frappantes, de la vieille Europe déliquescente.

F.L.