Stephen King… Je serai franc avec vous, je suis un grand fan. Au-delà des mécaniques horrifiques qu’il crée, l’écrivain originaire du Maine possède un talent inné pour développer des personnages qui prennent littéralement vie devant vos yeux de lecteurs grâce une psychologie ciselée. Rob Reiner, en habile artisan, a parfaitement compris dans ses adaptations l’humanité sous-jacente de l’œuvre Kingienne. Revenons sur l’une de ses plus mémorables  : Misery qui est disponible sur Netflix à cette adresse.

Mais que raconte Misery :

Au volant de sa voiture, Paul Sheldon, écrivain très en vogue, savoure l'instant. Il vient de finir le dernier volume d'une saga dans lequel il a fait disparaître Misery, l'héroïne qui l'a rendu célèbre, mais qui, devenue pesante, l'écrivain s'est mis à détester cordialement au fil des épisodes. Pris dans une tempête de neige, il perd le contrôle de son véhicule qui s'écrase dans un ravin. Inconscient, les deux jambes brisées, Paul est recueilli par Annie Wilkes, une ancienne infirmière qui vit dans une maison isolée. A son réveil, il s'aperçoit qu'il est coupé du monde et que sa singulière hôtesse, fan inconditionnelle de ses ouvrages, entend le garder en son pouvoir...​​​​​​​

Misery est la deuxième adaptation de King par Rob Reiner après Stand by me, un récit nostalgique autour du passage à la vie adulte qui avait permis au cinéaste américain de ne plus être cantonné, dans l’esprit des studios, à la simple comédie. Le cinéaste s’était en effet fait connaître grâce à des comédies loufoques comme Garçon choc pour nana chic et surtout Spinal Tap, un faux documentaire à mourir de rire sur l’univers du rock. Stand by me est un succès au box-office et sera adoubé par la critique qui lui discernera deux Golden Globes.

King, à travers le recueil de nouvelles Différentes Saisons et ses ouvrages signés sous le nom Richard Bachman, avait développé un univers plus réaliste et moins porté sur le fantastique. Stand By me sera l'occasion pour le grand public de prendre conscience d’une oeuvre qui ne se limitait pas à l’horreur pure. À ce titre, je vous invite à lire le roman Marche ou crève signé sous le nom de Bachman et qui reste l’un des sommets de son oeuvre.

Après avoir signé un film de conte de fées parodique Princess Bride et l’un des plus gros succès de la comédie romantique Quand Harry rencontre Sally, Rob Reiner s’attelle une fois encore à une adaptation de King au moment même où tout le monde s’attend à une nouvelle romance. Il choisit cette fois-ci adapter Misery, un huis clos angoissant avec un écrivain torturé par l’une de ses fans. Il est à noter que ce roman de King aurait dû être publié sous le pseudo de Bachman. Mais sa double identité littéraire demeurée longtemps secrète venait d’être découverte et King utilisera son vrai nom pour signer ce court roman.

Reiner va s‘entourer pour ce film d’une équipe solide. Au scénario, on retrouve William Goldman, une valeur sûre d’Hollywood en termes d’écriture qui fut oscarisé pour Butch Cassidy et le Kid et Les Hommes du président. L’homme œuvra également en qualité de script doctor (scénariste non crédité chargé de réécrire les scripts brinquebalants) sur bon nombre de superproductions des années 80 et 90. L’adaptation de Misery n’est pas évidente. En effet, le récit est un affrontement psychologique entre deux personnes sur plus de 350 pages, et qu’il faut réussir à rendre à l’écran. De plus King recourt à des procédés littéraires telles que la focalisation interne (voix intérieure) qui sont antinomiques du cinéma. Enfin, dans son final le roman est assez gore alors que Misery en tant que film de Studio ne peut proposer de telles images.

Le scénariste va trouver la parade en s’inspirant du film pénitentiaire (Le Pont de la rivière Kwai…) où des prisonniers doivent résister à un geôlier sadique. À travers les tentatives d’évasions (au moins, sortir de sa chambre) et appels au secours du héros, il arrive à créer une tension psychologique forte.  Sans recourir au sang, il réussit, grâce à la suggestion, à rendre la violence du roman avec cette scène où Kathy Bates punit James Caan à l’aide d’un marteau.

Goldman suit néanmoins assez scrupuleusement le roman, en réorganisant seulement certaines actions ou en inventant d’autres comme la scène du repas aux chandelles qui est seulement fantasmée par le héros dans le livre. Enfin, il crée un personnage de shérif qui synthétise par le biais de quelques séquences l’enquête pour retrouver le héros dans le roman. Ce personnage est également là pour faire retomber la tension à travers des échanges assez mordants avec sa femme.

Pour réussir un film qui repose sur un huis clos, il faut posséder le bon casting. Dans le cas de Misery, il fallait trouver l’actrice capable d’incarner la redoutable Annie Wilkes. Figure de la folie humaine oscillant entre l’amabilité et la folie furieuse, cette infirmière psychotique est l’un des pires monstres créés par King. En choisissant Kathy Bates, Reiner a déjà réussi son film tant l'actrice est époustouflante.

Kathy Bates est une actrice de théâtre reconnue qui a fait seulement de courtes apparitions au cinéma avant Misery.  La proposition de Reiner est arrivée au moment où elle venait de se faire remplacer par Michelle Pfeiffer sur l’adaptation cinéma de Frankie et Johnny, une pièce qu’elle avait pourtant  jouée au théâtre. Après des années difficiles, le destin lui a souri : c'est Kathy et non Michelle qui gagnera un oscar cette années là ! En effet, Kathy Bates  est tout simplement fabuleuse dans Misery. Elle est capable dans la même scène d’être une infirmière méritante, puis d’agir en enfant avant de devenir agressive, voire absolument terrifiante. Son rôle demande une technique d’acteur très poussée basée sur un habile dosage des effets. Elle ne fait jamais le geste de trop, elle sait précisément quand être en retenue et quand appuyer une phrase ou incarner la sociopathe. L’actrice jouera dans un autre récit de King quelques années plus tard, le très réussi Dolores Clairborne, où elle s‘avère une fois encore extraordinaire.

Face à elle, on retrouve James Caan, acteur emblématique d’Hollywood qui fut dirigé par Hawks, Coppola ou bien encore Michael Mann. Il possède l’aura des acteurs stars d’antan qui sied à son personnage d’écrivain célèbre. Son aspect viril qui faisait déjà merveille sur Rollerball lui permet d’incarner un héros qui réussit à survivre en tentant constamment de paraître souriant et aimable face à sa kidnappeuse malgré les souffrances physiques.

À l’instar des réalisateurs d’antan qui s’entouraient des meilleurs techniciens et écrivains d’une époque, Rob Reiner a constitué autour de lui une équipe artistique et technique de grande qualité. Cette approche est logique de la part d’un réalisateur qui est aussi producteur au sein de la société Castle Rock dont le nom renvoie directement à une ville imaginaire créée par Stephen King.
Dans Misery, Reiner s’appuie sur une mise en scène où la profondeur de champ est très souvent réduite pour signifier l’enfermement. Par le biais de gros plan ou de surcadrages, il veut signifier que toute fuite est impossible. Pas d’esbroufe, d’effets de caméra saisissants ou de mouvements aériens, la mise en scène est sobre et s’appuie beaucoup sur la direction d’acteurs. Sur certains films de Reiner comme Princess Bride, la réalisation est parfois trop timorée dans les scènes de fantasy ou d’action. Pour autant sa rigueur visuelle sur Misery fonctionne très bien, servant admirablement son script et ses acteurs.

Misery, c’est un cinéma hollywoodien aujourd’hui disparu qui produisait des films solides qui ne révolutionnaient pas le cinéma, mais qui s’avéraient des divertissements de haute volée et totalement maîtrisés faisant preuve d’un savoir-faire presque artisanal. Presque 30 après sa réalisation, Misery reste ainsi un sommet de tension grâce à sa mise en scène rigoureuse et sans bluff.

Sans doute, l’une des meilleures adaptations de King.

Mad Will