Trois histoires qui se croisent à Memphis à 2 h 17 du matin dans un hôtel miteux, au cours d’une nuit visitée par le fantôme d’Elvis Presley. Un couple de japonais Jun (Masatoshi Nagase) et Mitsuko (Youki Kudoh), en pèlerinage dans la ville du blues et du rock, une Romaine (Nicoletta Braschi) venue chercher le corps de son mari défunt, et enfin trois jeunes hommes embarqués par l’alcool dans une méchante histoire. A noter que l’on retrouve parmi ses protagonistes, le chanteur des Clash Joe Strummer, dans le rôle de Johnny alias « Elvis ».

Dans Mystery train, point de road movie, l’essentiel du film se déroule dans la ville où errent les protagonistes. Mais comme nous sommes chez Jarmusch, il y a toujours la même vacuité, les mêmes zones sales et délabrées, et le même décalage. Encore une fois, le cinéaste américain nous présente une variation sur le thème de l’étrange(r), du déracinement, et de la musique. Un film sur la grandeur déchue de l’Amérique (si tant est qu’elle ait jamais existée), à travers ceux qui ont créé le mythe comme Elvis Presley, dont il ne reste plus que le fantôme et les histoires que l’on raconte à son sujet. Les étrangers sont ainsi attirés par Memphis comme des papillons par les lustres passés alors que ses habitants se noient dans l’ennui ou l’alcool dans une bourgade qui ressemble au final à n’importe qu’elle autre.

Rompant avec son habituel récit linéaire accompagnant l’errance du ou des personnages principaux, Jarmusch construit ici son film en trois parties qui se déroulent dans une même temporalité. Comme s’il avait voulu donner de l’épaisseur à son propos en tissant une trame narrative plus complexe avec ces trois récits qui s’entrecroisent obligeant à des références internes, quand bien même les protagonistes ne se rencontrent pas directement. Les personnages qui font le lien sont les réceptionnistes de l’hôtel, immobiles derrière leur comptoir, débordants d’ennui, et qui finissent par s’endormir, annonçant métaphoriquement le destin de la future Amérique.

Bref, Jarmusch continue de creuser le sillon cinématographique qu’il a initié avec Permanent vacation : il offre au spectateur un portrait d’une nostalgie assumée - ne serait-ce que par le fantôme du King - et désabusé d’une Amérique déchue de sa grandeur. « C’est ça l ‘Amérique » dira le Japonais en entendant le bruit d’un seul coup de pistolet. Mais où sont les mitraillettes d’antan ?

L.S.