Coproduction franco-algérienne, De nos frères blessés est une adaptation réussie du roman éponyme de Joseph Andras par le réalisateur Hélier Cisterne. Ce film relate le destin tragique de Fernand Iveton qui fut le seul européen guillotiné pendant la guerre d’Algérie.  

De nos frères blessés  fait partie de ces films qui laissent des traces chez son spectateur bien après la séance. Ce long-métrage militant mais toujours nuancé est mené de main de maitre par Cisterne qui a su trouver le ton juste pour permettre l’adhésion des spectateurs  au destin de ses personnages. Que l’on soit ignorant des « événements » d’Algérie ou que l’on soit féru de cette période et de ce pays, ce film bouleversant ne peut que passionner.

Tout d’abord,  il est historiquement fidèle au contexte de l’époque. Le réalisateur nous fait ainsi vivre les derniers moments de ce jeune militant communiste qui refusait la colonisation. En effet, ainsi qu’en témoigne l’historien Benjamin Stora dans un entretien donné à l’occasion de la sortie du film : « Hélier Cisterne a réalisé un film dont l’ambiance restitue la simplicité du réel dans l’Alger des années 1950 et donne à voir la vie d’un quotidien d’engagements formulés, de doutes, de peurs inavouées. »

D’autre part le réalisateur nous fait vivre de l’intérieur  l’engagement et des doutes qui secouent le couple constitué par notre héros Fernand (admirable Vincent Lacoste, encore une fois idéal pour son rôle) et Hélène (Vicky Krieps). Marié depuis peu, le couple qui s’était rencontré à Paris ou résidait Hélène, s’installe à Alger où vivait Fernand. Celui-ci reprend son travail de tourneur dans une usine à gaz tout en militant au Parti Communiste Algérien. Fernand est a priori un homme tranquille et doux, loin de la caricature du terroriste poseur de bombe. Cependant, révolté par ce qu’il entend et face aux exactions de l’armée française, il accepte de poser une bombe dans son usine. Un geste qui le questionne, la peur de faire d’innocentes victimes ne cessant de le tarauder. Outre celui de Fernand, le réalisateur brosse aussi un magnifique portrait de son épouse, incarnée par une Vicky Krieps rayonnante.

Cette présentation du couple permet d’apporter nuances et discussions quant à l’opportunité de l’engagement, mettant ainsi en lumière la différence de perception dans la vision des choses entre ses deux membres. De ce point de vue, la scène la plus emblématique  serait celle dans laquelle Fernand et Hélène s’affrontent dans leur perception du communisme. En effet, Hélène, dont la famille polonaise doit subir le joug du stalinisme ne peut pas toujours suivre son mari dans son admiration pour le parti. Ce qu’ils ont en commun ce n’est pas une idéologie mais la foi dans un monde meilleur libéré du colonialisme et du racisme. Ce pourquoi Hélène, malgré les pressions, soutiendra son mari jusqu’au bout.

Cisterne nous interroge aussi sur la politique et des grandes questions qui la traversent. D’un côté le film pose la question de la fin et des moyens, à savoir si l’intention de lutter pour la justice justifie le risque de tuer des innocents, d’un autre il expose les arcanes d’une raison d’État qui guillotine pour l’exemple un homme sans que finalement il n’y ait eu aucun mort dans cet « attentat », la bombe n’ayant pas explosé. À ce titre, la condamnation d’une personne sur ses intentions est hélas encore au cœur de l’actualité.

Le film relate au final l’engagement de jeunes gens qui cherchent à mettre en harmonie leurs paroles et leurs actes. Plusieurs récits ont déjà été faits sur le thème de l’engagement versus la vie personnelle. Mais ce film a l’intérêt de rappeler, en cette période où certains voudraient troubler notre vision de l’Histoire et celle de la France en particulier, qu’il existe des faits que le négationnisme ou la vérité alternative ne peuvent jeter à la poubelle. La France a été un pays colonisateur, et c’est bien cela qui a été le déclencheur d’un conflit sporadique qui s’est étendu sur plus d’un siècle et dont l’apogée a été pendant les années dites « de la guerre d’Algérie », années pendant lesquelles se déroule l’action du film.

Concluons avec ces quelques mots du réalisateur : « J’ai fait ce film avec l’idée que toutes les compromissions qui nous font fermer les yeux pour des raisons de pragmatisme politique sont des bombes à retardement qui conduisent au drame. C’est l’immense risque qui menace les démocraties quand les états d’urgence, les mesures exceptionnelles, la répression violente s’exercent sans recul, sans regret, ni contradiction. »

Se pencher sur son passé est à coup sûr un excellent moyen de préserver l’avenir.

Laurent Schérer