L’ordre des choses est un film indispensable. Il raconte l’histoire de Rinaldi (Paolo Pierobon), un policier de la police de l’immigration qui est missionné par les institutions européennes pour négocier auprès des Libyens un meilleur « contrôle » des flux migratoires. Il rencontre à cette occasion Swada (Yusra Warsama) migrante enfermée dans un camp, qui retiendra son attention, la petite histoire venant interférer avec la grande.

On sait que la bassesse et la bêtise font parties intégrantes de l’être humain, que dans notre société « civilisée », il existe des personnes racistes et xénophobes qui veulent rejeter les migrants à la mer. On sait également que dans des pays pas si lointains des migrants sont battus, torturés, violés, humiliés, rackettés. Ce que l’on ignore c’est que nos institutions collaborent à ce processus.

Dans L’ordre des choses, le réalisateur italien Andre Segre explicite le mécanisme qui conduit nos dirigeants à permettre l’inacceptable. A l’inverse de la formule « Toute ressemblance avec une histoire ou une personne existante ou ayant existé est purement fortuite. », la fiction a été ici documentée pendant de nombreuses années avant d’être tournée.

L’ordre des choses met en lumière une logique implacable : nous ne voulons pas de migrants chez nous, mais nous ne supportons pas de les voir se noyer près de nos côtes (sous peine de passer pour les salauds de la première phrase) donc il faut réussir à les retenir avant qu’ils traversent la méditerranée. Et c’est là que le bât blesse. Car autant la route de la Turquie a pu être fermée sans trop d’atteinte aux droits de l’homme car le gouvernement turc reste un gouvernement stable avec des lois, une police et une justice, (dans les limites que l’on connaît, mais c’est un autre sujet), autant en Libye le pays est sous la coupe de milices. Ces groupuscules ont pour seule loi :  la recherche de l’accroissement de leur propre pouvoir. Pour eux, la vie humaine a un prix correspondant à la quantité d’argent qu’ils pourront extorquer par quelque moyen que cela soit. En négociant et en finançant ces milices, la communauté européenne et les gouvernements qui la composent savent pertinemment le sort qui est réservé aux migrants retenus en Libye. Mais les institutions peuvent claironner « nous avons fait œuvre d’humanité, il y a moins de morts en mer ». Une telle hypocrisie est tout simplement écœurante. Mais tel est le monde dans lequel nous vivons.

Le réalisateur prend prétexte d’une histoire personnelle qui sera métaphorique de la dualité qui existe en chacun de nous : révolté par ce que nous voyons mais moutonniers dans nos comportements. Car nous pouvons nous interroger : avons-nous voté pour ce gouvernement cynique ? Avons-nous assez combattu le racisme et la xénophobie ? Sommes-nous à nous voiler la face et à passer la poussière sous le tapis ? Toutes ces questions sont posées dans ce film par l’intermédiaire des allers et retours de Rinaldi entre Libye et Italie. Le contraste entre les deux sociétés fait alors ressortir d’une façon flagrante les arrangements avec nos consciences. Un film sans concession à diffuser d’urgence.

Laurent Schérer