La réalisatrice québécoise Myriam Verreault propose avec son film Kuessipan une adaptation libre du premier roman éponyme de Naomi Fontaine, et place au cœur de son récit la communauté innue qui vit dans la réserve Uashat, à Sept-îles, sur la côte nord du Québec.

Au travers le regard d’une jeune fille, Mikuan, le film montre la vie des Innus dans un territoire qui leur est imposé comme restreint et étroit. Mais malgré le manque d’espace, une grande solidarité règne dans la réserve. La réalisatrice donne à voir des portraits, des lieux et des moments vécus au sein de la communauté. Le film s’ouvre avec les rires de Mikuan et Shaniss, sa meilleure amie, lorsqu’elles étaient petites. Autour du feu, les filles chantent en innu avec leurs parents, dans une atmosphère festive et heureuse. Le bonheur se lit sur les visages, et les deux amies se promettent de ne jamais se séparer. Mais lorsqu’elles grandissent, leurs aspirations diffèrent. 

La force du film réside à la fois dans sa juste vision de la limite poreuse entre la protection d’une richesse culturelle d’un peuple et son repli identitaire, mais aussi dans le portrait d’une jeune femme qui porte en elle un fort héritage culturel qui entre en conflit avec ses aspirations pour l’avenir. Mikuan veut abolir les préjugés, confrontée au racisme latent qui en réalité se révèle comme une crainte envers l’autre. Les blancs et les Innus ne se fréquentent pas, ne se connaissent pas alors même qu’ils sont voisins. 

Mikuan et Shaniss portent en elles deux forces qui s’opposent : partir ou bien rester. Leur amitié fusionnelle est mise à l’épreuve. Shaniss s’occupe seule de sa fille et souffre de sa relation toxique avec Greg, un dealer au comportement violent. Malgré la misère dans laquelle elle se trouve, elle aime la réserve et ne veut la quitter sous aucun prétexte. Mikuan, de son côté, est habitée par ce sentiment paradoxal qui la pousse à vouloir en sortir pour poursuivre ses études à l’université à Québec, mais reste dans le même temps attachée à son territoire, sa culture et ses traditions, qu’elle fait d’ailleurs découvrir à Francis, un « blanc » dont elle tombe amoureuse.

La voix-off de Mikuan vient accompagner l’image comme une douce musique et ajoute une touche poétique au portrait de la communauté. « La ville s’arrête là où la réserve commence », dit-elle. La réserve est un lieu à part, minutieusement délimité, et remet en question la notion même de liberté, qui est au cœur du propos du film. La liberté ne se conçoit que si l’on est en captivité, affirme Mikuan, dans un discours émouvant lors d’un concours d’éloquence. Elle revient sur l’histoire de sa communauté, l’importance de protéger un territoire et l’angoisse collective liée à la survie d’un peuple et d’une identité culturelle.

Grâce à une interprétation sensible et réaliste, portée par des acteurs qui apparaissent pour la première fois à l’écran et incarnent des personnages qui leur ressemblent, Myriam Verreault parvient avec Kuessipan à peindre un portrait contemporain et authentique d’une jeunesse innue qui affirme son existence au-delà des préjugés, habitée à la fois par un fort sentiment de liberté et d’affirmation culturelle.

Camille Villemin