Qu’est-ce qu’il fait que certaines images de vidéos familiales nous indiffèrent ou pire nous insupportent alors que d’autres nous touchent profondément ? Qu’est-ce qu’il fait que des images mouvantes ou mal cadrées nous énervent ou au contraire nous révèlent une vérité profonde ? Pour le comprendre, il faut appréhender la différence entre le choc ressenti à la vue des images captées simplement par la famille  Sanford dans 17 Blocks et une mise en scène calculée qui devient une posture pour certaines images, qu’elles soient privées ou d’ordre « documentaire ».

À l’âge de 9 ans, Emmanuel Sanford rencontre le journaliste et réalisateur Davy Rothbart . Avec l’aide de la caméra que lui a offert le réalisateur, il filme sa famille : Chéryl, Smurf, Denice, Justin. À la mort d’Emmanuel, Justin décidera de prendre sa suite et continuera à tourner, ce qui fait que la captation de la vie familiale s’étale sur deux décennies.

Parce qu’ils sont filmés par un enfant, les frères et sœurs, neveux, nièces, et la mère d’Emmanuel se livrent sans filtre.  Pas de regard d’un sociologue ni d’un quelconque scientifique à l’œuvre dans ce film mais simplement le point de vue naïf d’un gamin qui vit sa vie de famille et la capte de l’intérieur. Pas besoin d’en rajouter pour comprendre à travers les images que nous livre ce documentaire, la violence et le rejet que subissent quotidiennement les afro-américains.

Et c’est en cela que 17 Blocks prend une résonance terrible. Nullement démonstratives, les images sont avant tout porteuses de beaucoup d’amour et d’attention pour leurs sujets. Mais l’évidence est là : le seul avenir promis aux membres de cette famille semble être la mort violente prématurée, au mieux la prison. La mère Cheryl est toxicomane, Emmanuel meurt assassiné par des junkies, le grand frère Smurf vit du trafic de drogue et le seul métier auquel accède la sœur Denice est celui de policière. Alors quand Cheryl dans les dernières images du film livre un terrible secret on comprend que toute émancipation des noirs américains est quasi impossible.

Et pourtant envers et contre tout, certains s’accrochent à un espoir, et luttent pour être enfin considérés comme des êtres humains et des citoyens à part entière.

À travers le récit de cette famille aimante de Washington DC qui traverse de terribles épreuves mais qu’elle considère presque comme banales, ce documentaire exceptionnel sans pathos (et pourtant il y aurait matière) permet sans conteste de mieux comprendre les conflits de la société américaine et les revendications de sa population noire.

Bouleversant et indispensable.

Laurent Schérer