Le réalisateur italien Michele Pennetta fait avec Il mio corpo, un film lumineux qui cependant révèle une sombre réalité, le récit de deux histoires parallèles sous le soleil écrasant de Sicile, jouant avec la frontière poreuse entre documentaire et fiction.

Oscar et Stanley ne se connaissent pas, mais ont en commun le désir d’une vie meilleure. L’un, pré-adolescent, souffre de l’autorité de son père, Marco, qui l’emmène ramasser de la ferraille dans d’anciennes mines de soufre devenues des décharges en plein air. L’autre est réfugié, il vient du Nigéria, possède un titre de séjour et un permis de travail qui lui permet de faire des petits boulots pour subsister. Le dispositif filmique se base alors sur ces destins en miroir, alternant d’un personnage à l’autre, montrant ce que la société laisse de côté : des pauvres et des migrants jetés comme des déchets.

Leur vie ne leur appartient pas, elle est dictée par autrui, par le travail, par la nécessité absolue de sortir de cette prison à ciel ouvert à laquelle il est difficile de trouver une issue. Cependant Michele Pennetta refuse de tomber dans le piège facile d’un recours au pathétique devant le portrait de la misère qu’il peint. Au contraire, il préfère ajouter à la réalité une vision onirique. Cela ne peut se faire sans un travail en amont avec les personnages, avec lesquels une relation de confiance s’est instaurée, permettant au film de jouir d’un parfait équilibre entre documentaire et fiction.

La réalité surgit de manière brutale dans cette face cachée de la Sicile gorgée de soleil, sous une chaleur fatigante et pesante. La caméra s’arrête longuement sur les visages, marquant des temps de pause dans le récit, des moments contemplatifs où les corps sont exposés en plein soleil, dans une lumière qui les détache de la misère du paysage. Ce parti pris formel regarde la réalité de l’immigration et de la pauvreté en restituant la beauté des personnages malgré la difficulté de vivre à laquelle ils sont confrontés. Cette beauté passe surtout par le corps, la dramaturgie silencieuse de ses gestes éloquents, son interaction avec l’environnement.

Dans une séquence très immersive, sans dialogues, la caméra accompagne Stanley et son ami lors de leur baignade. La mer n’est plus cet obstacle à franchir, mais une invitation bienveillante au calme et au bonheur simple du contact de l’eau avec le corps, qui lui confère une dimension sensuelle. Le titre du film prend alors tout son sens : « il mio corpo », c’est le corps au travail, mais aussi le corps reposé et calme, exposé pour sa simple beauté.

Sans chercher à magnifier la misère mais dans une pure recherche naturaliste, le réalisateur se rapproche au maximum du réel pour peut-être tenter de retrouver un imaginaire associé à la Sicile, ces paysages méditerranéens, ceux des récits antiques ou du cinéma néoréaliste. Il n’en reste plus que les ruines, sur lesquelles naît un espoir fragile.

Un film à voir au cinéma, pour sa beauté à la fois lumineuse et cruelle, et qui, en peu de mots, nous touche par l’apparente banalité de deux histoires qui se rencontreront peut-être. 

Camille Villemin