Signé par la primo-réalisatrice Nora Martirosyan, Si le vent tombe est un film particulier par rapport aux faits qu’il met en scène. En effet, le spectateur à une connaissance historique de la destinée du Haut-Karabagh où se déroule l’action du scénario, à la différence de la réalisatrice Nora Martirosyan qui a tourné son film avant la guerre qui y a sévi fin 2020. Un conflit qui a vu s’opposer les habitants arméniens de cette région, et l’Azerbaïdjan qui a obtenu par les armes de reprendre une partie de ce territoire qu’elle revendique depuis longtemps.

La guerre, les habitants du Haut-Karabagh la connaissent déjà malheureusement bien puisque leur pays est né d’un conflit lié à la chute de L’URSS. En 1991, suite à un référendum qui approuve l’indépendance du territoire, l’Azerbaïdjan entre en guerre, et après 3 ans de conflit et 30 000 morts, la république indépendante du Haut-Karabagh est proclamée. Elle ne sera cependant pas reconnue par L’ONU.

De ce fait, ce film qui aurait pu être une sorte de Désert des tartares actualisé devient un tout autre objet cinématographique en raison  de sa sortie en salles qui fut décalée à plusieurs reprises. Devant délaisser l’Histoire, le spectateur s’intéresse alors à l’histoire d’un Français consciencieux, (Alain Delage - superbement interprété par Grégoire Colin), chargé par le cabinet d’expert pour lequel il travaille d’un audit sur l’aéroport de Stepanakert, capitale du Haut-Karabagh, en vue de son éventuelle réouverture. À son arrivée, l’expert doit cependant composer avec la réalité du terrain.

Cela commence dès les premières images quand le nom du personnage principal est transformé par le chauffeur de taxi, pressé de passer la frontière. Ainsi, Alain Delage devient   Alain Delon. Un changement de patronyme qui a une triple signification : un, l’homme est voué à jouer un rôle puisqu’on lui donne alors le nom d’un acteur ; deux, les autorités ne s’embarrassent pas de détails aussi insignifiants que la réalité (si on change un nom, on pourra aussi déplacer une frontière) ; trois, l’homme ressortira transformé de cette histoire.

Alors qu’il était venu pour faire son travail et rien que son travail, Alain Delage va laisser parler sa sensibilité et comprendre petit à petit l’âme d’une peuple et les enjeux politiques de sa mission. On en vient alors, à l’instar du personnage auquel on s’identifie volontiers, à aimer ce pays et ses habitants, saisis par la vision que nous en offre la réalisatrice.

Le rôle dévolu alors à Alain Delage est celui de la reconnaissance par l’extérieur de l’existence du Haut-Karabagh. En fait, les autorités ne s’intéressent pas vraiment au résultat de son audit, car c’est bel et bien sa venue dans un pays en quête de légitimité qui est signifiante et utile pour ceux qui l’ont invité. Notre protagoniste principal  s’apercevra qu’entre la frontière officielle dont il possède le tracé sur les cartes qu’on lui a fournies et la frontière mouvante délimitée par les escarmouches entre Arméniens et Azéris, le compte n’y est pas. Cela, le spectateur le saisit d’emblée quand Alain voit un jeune garçon traverser le tarmac de l’aéroport en franchissant allégrement les clôtures de celui-ci. Ce jeune garçon nommé Edgar, porteur d’une eau soi-disant miraculeuse, est également le témoin impuissant du quotidien de la société locale. Quand il navigue entre les chantiers, hôpitaux, commerces divers afin de porter son eau à toute personne qui lui achète un verre et la boit sans sourciller, on ne peut s’empêcher de penser qu’il est le représentant d’un peuple à la fois plein d’illusions mais qui ne demande qu’à vivre en paix.

Nora Martirosyan nous offre donc un film quasi initiatique, dont l’intention tombe peut-être à côté de celle qu’elle aurait souhaité à l’origine, mais les circonstances en ont voulu autrement en ruinant la note d’espoir contenue dans la superbe scène finale.

Laurent Schérer