Le dernier prisonnier est un film albanais, et rien que pour cela il vaut la peine d’être regardé. En effet on doit compter moins d’une dizaine de films de cette nationalité sortis en France depuis l’origine du cinéma. Bujar Alimani, qui vit et travaille aux États-Unis, est un des rares réalisateurs albanais de renommée internationale. Né en 1969, il gagne la Grèce en 1992 suite à la chute du régime communiste. Le scénario du dernier prisonnier se déroule peu avant cette date, au moment où le régime touchait à sa fin et où la population rêvait de s’émanciper. Le film montre donc ces deux courants, celui d’une résistance jusqu’au boutiste au changement du régime communiste et de ses soutiens dans une « Corée du nord européenne », et de l’autre une population qui cherche tout simplement une bouffée d’oxygène et dont le regard se porte vers l’Europe.

Léo (Viktor Zhusti), est un professeur, un « intellectuel » prisonnier politique comme de nombreux albanais de l’époque. Le jour d’une visite d’une délégation européenne il est transféré à Tirana pour y « témoigner ». Mais en chemin la voiture qui assurait son transfert tombe en panne. Le chauffeur demande au village voisin l’aide d’un mécanicien pour réparer. C’est alors que les langues se délient et que Bujar Alimani peut donner un sens métaphorique et politique à son thriller psychologique. Le réalisateur nous fait alors part d’une Albanie divisée, tant sur le plan politique et social que culturel et moral, que le régime conduit dans une impasse.

Formellement, le gris et le marron dominent dans le long métrage, ainsi que le souhaitait le réalisateur, car pour lui ces couleurs « reflètent nos vies et les années grises et incolores de la dictature communiste ». De même il a privilégié les plans d’ensemble afin « d’inclure tous les personnages dans les plans, pour mettre dans une même image l’ensemble des acteurs qui ont joué un rôle au cours de ces années éprouvantes ». Car pour lui,  « il n’y a pas une seule personne responsable à blâmer pour ce qui s’est passé dans ce pays, mais l’ensemble de la population pour avoir laissé une dictature criminelle s’épanouir sans entrave ».

Prix du meilleur long métrage au festival de Trieste, prix du public, meilleur scénario et prix des médias au Festival International de Tirana, grand prix et prix du jury œcuménique au Festival International du Film de Varsovie, et représentant l’Albanie aux Oscars 2020, Le dernier prisonnier doit être vu en salles.

Laurent Schérer