Durant six semaines Hassen Ferhani a posé sa caméra dans le café de Malika en plein Sahara. Des soixante heures de rushes, il en a extrait cent minutes qui constituent son dernier film : 143 rue du désert. Ce rendu final est en réalité une sorte de road movie inversé. Pas de voyages ni de rencontres au fil de la route, ce sont les différents protagonistes du film qui viennent à nous dans ce film afin de se livrer sur leur périple devant un café.

Le bâtiment est minimaliste : la salle et la chambre de Malika, qu’on entraperçoit furtivement à la fin du film, constituent un parallélépipède aux murs nus, d’une superficie de vingt mètres carrés, muni d’une porte et de petites ouvertures qui lui servent de fenêtres, vent de sable oblige. Dans la petite salle de l’établissement, on découvre deux mini tables, trois chaises, deux tabourets, un frigo, une lampe à gaz, un stock d’eau minérale, une cafetière, une théière, un plateau d’œufs et c’est à peu près tout. Ah non, j’oubliai, Malika vend du tabac. Si les gens s’arrêtent ici, on le comprend vite, ce n’est pas pour le menu avec son unique omelette, mais pour parler avec Malika, prendre des nouvelles et se tenir au courant des derniers potins.

C’est bien ce qui fait tout le charme du film. Malika, assise sur sa chaise voit entrer par sa porte toute une série de personnages comme si cette porte était un écran de cinéma qui lui donnait accès à un autre monde. En régnant ainsi avec ses deux chiens et son chat sur son monde, Malika nous offre une certaine vision de l’Algérie, celle véhiculée (sans jeu de mots) par les routiers de la nationale 1, le grand axe transsaharien entre Alger et Niamey au Niger.

La prise de vue est aussi minimaliste que le café. Posée sur son pied, la caméra ne bouge pas, à de très rares exceptions près, pendant toute la durée d’un film constitué à quatre-vingt-dix pour cent de plans fixes. Le pied est planté tantôt dehors, tantôt dedans, mais toujours à proximité. Ainsi, quand un accident surviendra tout près sur la route, il restera hors champ. En effet, le sujet est bien Malika, le café, et ce qu’il s’y raconte. Cela va des souvenirs de l’époque du président Houari Boumédiène pour les plus anciens, aux soucis causés par la future ouverture d’une station-service et d’un café restaurant attenant, en face de chez Malika.

Le film ne se limite pas à de simples discussions de type « café du commerce ». Par petites touches Malika se livre. On en apprend plus sur sa vie au fur et à mesure du long-métrage, tout en ne sachant pas vraiment si elle ne travestit pas parfois la vérité. La présence de la caméra aurait-elle fait naitre une vocation de comédienne ? Quand le réalisateur filme un orchestre de passage qui joue de la musique folklorique, Malika se plait à danser.

Hassen Ferhani nous offre avec 143 rue du désert, un très beau film rempli de poésie.

Laurent Schérer