Jinpa est un routier des plateaux tibétains. Ray-Ban vissées au visage, il parcourt des centaines de kilomètres dans la poussière grise des montagnes. Avec ses airs de durs à cuire, on a du mal à l'imaginer être un fervent religieux et pourtant son vieux camion grouille de talismans et de breloques sacrées. Un vrai temple sur roues ! Le tuning à la tibétaine. La journée n'est pas très bonne, un mouton s'est jeté sous son camion et c'est plutôt mauvais pour le karma. Pour se racheter, Jinpa accepte de prendre un autostoppeur aux allures de mendiant. Est-ce le destin ou le hasard, l'homme porte le même prénom que lui et c'est aussi un lama qui l'a choisi. Au cours de la conversation il apprend que l'autostoppeur est revenu dans la région pour commettre un meurtre. Certainement une plaisanterie ! Cependant après réflexion, si cet autostoppeur venait à commettre cet acte, et ce alors qu'il porte le même prénom que lui, cela ne viendrait-il pas souiller son propre karma ?

Après [[Film:23576 Tharlo]] en 2018, [[Personne:54514 Pema Tseden]] vient de nouveau enchanter les salles obscures françaises grâce à Jinpa, le film qui avait triomphé l'an dernier au Festival International des Cinémas d'Asie (Festival qui cette année propose un focus sur les films du Tibet) ! Si vous ne le connaissez pas encore sachez que [[Personne:54514 Pema Tseden]] est tout bonnement le premier réalisateur tibétain à exploser au niveau international et qu'il s'attache, film après film, à dépeindre le quotidien, la culture et les croyances de ses congénères. Tandis que [[Film:23576 Tharlo]] était une fable contemplative et cruelle au sujet d'un berger attiré par les lumières de la grande ville, Jinpa prend l'angle du mysticisme culturel pour nous proposer une histoire d'enquête et de vengeance. Pour se faire, le réalisateur formé à l'académie de film de Beijing s'appuie sur une photographie magnifique dont l'étalonnage rappelle celui du génie kazakh [[Personne:70352 Adilkhan Yerzhanov]] pour [[Film:29292 La tendre indifférence du monde]]. Deux réalisateurs du bout du monde qui se ressemblent d'ailleurs beaucoup puisqu'ils ont tous les deux la volonté d'offrir à la fois un travail d'une très grande qualité artistique mais aussi de proposer des scénarios simples qui parlent à l'âme.

À peine quelques secondes de film et l'on a déjà l'impression d'être assis dans le siège d’un passager sur les routes du Tibet éternel : le silence des grandes étendues, le froid sec qui pique la peau et le vent qui glace les os. Il ne se passe pas grand chose et pourtant nous restons captivé par l'image, par ce qu'elle transcrit de la culture tibétaine dont on ne connait rien d'autre que les difficultés politiques. La caméra se pose tantôt sur le sourire de ces femmes au teint mat et aux cheveux enrubannés, tantôt sur le boucher qui vend sa marchandise au bord de la route. Lentement mais sûrement, l'intrigue nous plonge au sein des communautés de la province autonome et pousse la porte des maisonnées derrière laquelle l'hôte nous offre un thé au beurre de yak, salé sucré. Dans son camtar Jinpa écoute de l'opéra. Il se soucie des autres pour se soucier de soi, de son karma, du grand cycle de la réincarnation qu'il rejoue sous les cieux gris des hautes plaines. On en ressort muet, comme sorti de la méditation, les images nous accompagnent, la musique également, rare, mais touchante, éthérée. Comme l'envie de prendre un billet et de partager un thé dans le froid du Tibet.

Gwenaël Germain