Il y a beaucoup de Beckett chez Maha Haj. A l’instar du théâtre du dramaturge irlandais, son cinéma se fonde sur une vision du monde pessimiste pour laquelle les hommes, piégés dans leurs mondes sensoriels respectifs, ne peuvent jamais recevoir le message de leurs pairs sans le déformer au prisme de leur subjectivité. C’est pourquoi il n’existe pour ainsi dire de dialogues que de sourds, et la simple retranscription de n’importe quelle conversation entre deux êtres humains a un fort potentiel de comique absurde. Maha Haj, en suivant l’évolution des relations de différents duos de personnages d’âges divers, met ainsi en scène des êtres qui vivent ensemble sans se voir et qui communiquent sans s’entendre.

Parce que le film est ancré en Palestine, en faire une lecture politique est évidemment tentant. Libre à nous ainsi de voir dans Personal affairs une représentation imagée de l’impossible cohabitation de deux cultures au sein d’un même territoire. Bien que cette extrapolation conserve sa validité et son intérêt, le titre choisi par la réalisatrice signale néanmoins que c’est sur les « affaires personnelles » qu’elle a souhaité se focaliser. A travers le portrait d’un couple dont l’un se réfugie derrière son ordinateur et l’autre derrière son tricot, la réalisatrice montre bien les différentes stratégies que les hommes déploient sans cesse pour coexister tout en maintenant l’autre à distance, notamment par le recours à des activités dans lesquelles il est possible de s’absorber en présence de l’autre et qui fournissent un confortable prétexte au silence.

Malgré la domination lourde de l’incommunicabilité, les personnages arrivent quelquefois à s’écouter enfin, lors de situations exceptionnelles qui leur permettent de se découvrir sous un nouveau jour. L’histoire bloquée des deux jeunes gens se fréquentant sans jamais se céder, chacun préférant reprocher à l’autre d’être coincé plutôt que de reconnaître ses propres complexes, se dénoue ainsi grâce à la danse. Lors d’une scène époustouflante de force et de beauté, le couple potentiel arrive enfin à vibrer à l’unisson, à communiquer par-delà le langage, le temps d’un tango, libéré de l’inhibitrice nécessité de prendre des initiatives par la structure préétablie de la chorégraphie.

Doué d’une belle acuité de regard sur la condition humaine, Personal Affairs est donc une pertinente fresque sur l’irrationalité des comportements humains et de la peur de l’autre qui mènent à des absurdités plus ou moins lourdes de conséquences, de la banale relation manquée au conflit international sans fin.

Florine Lebris