Le temps passe, les hommes vieillissent et les mœurs évoluent plus vite qu’eux. Un patriarche est bouleversé dans ses principes par les actes et les revendications modernes de ses enfants. Quand ceux-ci apprennent qu’au temps de Ceausescu, il a collaboré avec zèle à la politique de limitation des avortements, ils le prient de rendre des comptes. Le patriarche ne renie rien, arguant que le regard de ses enfants est biaisé par les préjugés qu’ils ont sur cette époque qu’ils n’ont pas vécue, que chacun va s’arc-bouter sur des principes plutôt que discuter de raisons. Le débat moral tourne à la discussion sur l’importance relative des facteurs temps et mouvement, écho au conflit qui oppose l’ancienne garde conservatrice à la nouvelle, libérale. Le père fulmine de se retrouver ainsi dans la peau de Pygmalion abandonné par sa créature. Il constate que les enfants qu’ils a mis au monde et élevés lui échappent, le remettent en cause et ont même vocation à le changer à leur tour.

Dans ces débats moraux, le langage est un enjeu crucial. Acculé, le père quitte la maison familiale et s’installe chez une amie. « C’est ton amante ? » lui demande sa fille. « Si tu veux le dire comme ça… Nous habitons ensemble, nous nous entendons bien. » De la même façon, lorsque les jumeaux se rendent compte que leurs unions ont été fertiles, le garçon refuse de parler d’inceste : « C’est un mot très moche qui n’a rien à voir avec nous. » Le mot charrie son lot de connotations qui ont le pouvoir de distinguer dans l’ordre social deux choses qui se recoupent dans le réel. Ainsi l’enfant « né d’inceste » est illégitime, alors que le « fruit d’un amour » est légitime.

llégitime ne s’attarde pas dans la contemplation. Le montage, d’une efficacité redoutable, se focalise sur les prises de position des personnages et leur évolution au fil des événements. Le temps, en les confrontant à des situations qui dépassent ce qu’ils auraient pu imaginer, induit le déplacement de leurs postures théoriques. Passionnante réflexion sur la casuistique.

F.L.