Kamala est une jeune orpheline hindoue originaire du Madhya Pradesh qui a la charge de son grand père paralysé et de sa petite sœur. Immigrée à Bombay, elle vend des couronnes de jasmin le jour et danse la nuit dans un cabaret pour payer les études de sa sœur Tara. De confession musulmane et originaire du Cachemire, Salim,le vendeur de fleurs à la sauvette de l’autre côté de la rue, n’a d’yeux que pour Kamala. Mais le danger rôde en la personne d’un sombre voyou qui la presse d’aller travailler à Dubaï.

Si l’histoire racontée dans ce film d’animation de la réalisatrice Gitanjali Rao est au premier abord celle tout à fait classique d’amours contrariés entre deux orphelins de communautés différentes, elle diffère cependant de la pure intrigue bollywoodienne qu’elle évoque à travers l’intérêt que Salim porte pour le cinéma et ses héros auxquels il s’identifie. En effet le film revêt une certaine originalité dans le traitement du contexte permettant au spectateur occidental de comprendre des thématiques propres à la population indienne : racisme et conflit entre indous et musulmans, traite des femmes, travail des enfants, censure, pauvreté, corruption, etc. De plus, l’apparition de personnages originaux, en particulier une ancienne actrice, Madame D’Souza, dont est amoureux un antiquaire préteur sur gage, offre un regain d’intérêt au récit.

Mais surtout ce film est d’une beauté extraordinaire dans l’usage des couleurs et par ses dessins qui ont tous été peints à la main, compensant très largement une certaine faiblesse de l’animation. Les techniques picturales différent selon le contexte et les décors. Les films projetés au cours du récit sont ainsi esquissées à traits épais, les décors des rues possèdent des couleurs explosives, alors que les rêves de Kamala sont proches d’une esthétique de miniatures mogholes. On admirera aussi le procédé de décoloration et de transformation des décors quand nous pénétrons dans les souvenirs de l’ancienne actrice, nostalgique de sa gloire passée.

L’ensemble revêt alors une dimension poétique envoûtante, accompagnée d’une musique et de chansons adaptées aux situations. On est tout autant éloigné de l’habillage musical bollywoodien que des mélopées sucrées des productions Disney. Le film va même jusqu'à prendre une connotation merveilleuse lorsque l’esprit des personnages s’échappe vers un monde fantastique où les humains se transforment en aigles.

Un très beau film à regarder sans tarder.

Laurent Schérer