Cinéaste cosmopolite originaire de Téhéran, Rafi Pitts s’est récemment vu interdire toute entrée sur le territoire iranien. Soudainement confronté à la réalité de la frontière, il décide d’infléchir son travail de cinéaste dans cette direction. Aux Etats-Unis et au Mexique, il recueille des témoignages. C’est en se rendant dans les bars des quartiers déshérités qu’il entend parler des green card soldiers, ces recrues ne disposant que de papiers temporaires à qui l’on promet la citoyenneté américaine après deux ans de service dans l’armée. Il décide alors de briser l’omerta qui les entoure en faisant de l’un d’eux le protagoniste de son futur film. Le résultat, Soy Nero, est loin du simple portrait de laissé-pour-compte. Habile, le réalisateur filme dans un premier temps les promesses véhiculées par la nation américaine pour mieux les démonter ensuite. Après nous avoir fait goûter au fantasme de l’ascension sociale rapide du self-made man, il nous ramène à une réalité où la ségrégation, si elle a été abolie dans le droit, existe toujours dans les faits. La condition précaire des clandestins, menacés d’expulsion à tout moment, les constitue déjà en sous-prolétariat corvéable à merci. Mais l’administration américaine ne s’arrête pas là. Grâce au perfidement nommé « Dream Act », elle se sert de l’hameçon de la naturalisation pour les transformer en chair à canon. Comble du cynisme, ses fonctionnaires accordent au besoin le précieux Graal à un cadavre remercié pour sa contribution à la cause des droits de l’Homme et de la démocratie. Tout cela, Rafi Pitts le dénonce sans fanfare ni trompette, grâce à un montage subtil, au hasard d’une séquence égarée. A rebours du sensationnalisme des vidéos de propagande de l’Armée américaine, c’est avec la même sobriété qu’il montre la réalité quotidienne du soldat enrôlé dans le conflit irakien, qui rencontre l’ennui et la peur en lieu et place de la fraternité et de l’héroïsme qu’il attendait. Ironie du sort, les green card soldiers sont chargés de la surveillance des check-points, décidant de la vie ou de la mort des colonisés locaux. Malgré leur égalité devant les balles, ils demeurent des soldats de seconde zone : l’armée peut les abandonner sans vergogne voire, si par malheur ils perdent leur précieux bout de papier qui décide de leur libre circulation, les renvoyer manu militari dans leur pays d’origine. En dévoilant cette réalité méconnue, Rafi Pitts signe un film aussi amer que nécessaire, dont on espère avec lui qu’il pourra atteindre les jeunes américains, seul public pour lequel il déploierait sa force politique.

F.L.