Antoine, Bruno, Pascal, Jérôme et les neuf autres protagonistes des Reines de la nuit ont un point commun : la nuit, ils se font appeler Eva Carlton, Framboise, Galipette, Golda… en enfilant leurs noms de scène, ils deviennent des personnages de cabaret adulés du fidèle public de chez Michou, Madame Arthur ou encore de l’Artishow. Anciennement médecin, libraire, agriculteur, ils sont désormais transformistes, une nouvelle désignation pour travestis, « moins connotée bois de Boulogne », comme nous l’explique l’un d’eux. Pour son premier documentaire et film de cinéma, Christiane Spièro est allée à la rencontre de ces étonnants artistes.

Philippe Benhamou alias Golda se souvient. Lorsqu’il était enfant à Agadir, sa mère l'emmenait voir des spectacles où les hommes s’habillaient en femme, sous les traits des idoles de l’époque. Un soir, la cape brodée de sequins du performeur a frôlé le visage du petit garçon fasciné. Ce contact avec la vedette, avec la paillette, n’a jamais quitté l’esprit de Philippe, devenu styliste puis à son tour transformiste. Comme la plupart de ses consœurs, Philippe-Golda est un artiste total : il réalise lui-même ses costumes, ses maquillages, ses numéros. Certains sont mêmes de vrais chanteurs, tandis que d’autres font illusion en play-back. Tous sont extrêmement méticuleux dans leurs gestes et attitudes, qu’il s’agisse d’imiter une star comme de la chanson comme Antoine d’Oria grimé en Liane Foly,  ou d’élaborer un numéro personnel façon Pascal « Framboise » Papazian, fondateur de l’Artishow, qui amuse la galerie avec Pétunia, le personnage de potiche qu’il a inventé.

Mais derrière ces yeux fardés et ces robes dorées se cachent parfois des hommes meurtris. Jérôme Mehats, plus connu sous le nom de Galipette raconte avec émotion la fois où ses parents l’ont mis dehors lorsqu’ils ont découvert son homosexualité. David Courant, devenue Vénus, une femme transsexuelle, témoigne quant à elle de la difficulté de naître dans le mauvais corps, et le chemin à parcourir pour enfin trouver son identité. Le spectacle de nuit a pour tous été un échappatoire. En s’attardant sur les expériences de chacun, le film démontre à quel point le milieu du transformisme est diversifié et barre ainsi la route aux préjugés. Il n’y a pas de profil type.

C’est aussi ce que [[Personne:3366 François Ozon]] racontait dans [[Film:14536 Une nouvelle amie]] (2014), une fiction dans laquelle David ([[Personne:4837 Romain Duris]]) commence subitement à s’habiller en femme après de le décès de son épouse. On se souvient d’une scène bouleversante où le personnage assiste à une interprétation de Une femme avec toi de [[Personne:14421 Nicole Croisille]] par un transformiste (Eva Carlton que l’on retrouve d’ailleurs dans Les reines de la nuit!). Alors que le temps s’est suspendu, David a enfin le sentiment d’être compris et accepté. C’est la même impression de bienveillance, de tolérance, qui émane des Reines de la nuit et fait de ce documentaire une très belle ode à la diversité et à l’acceptation de soi.

S.D.