Jiseul est un film coréen de O Muel réalisé en 2012, grand prix du jury international au festival du film de Sundance 2013 et Cyclo d’or au cinéma du film asiatique de Vesoul la même année.

Lui-même natif de l’île de Jeju au sud de la Corée, le réalisateur cherche à rendre hommage aux insulaires massacrés par l’armée sud-coréenne en 1948 qui les accusait d’être des communistes. Certains auront tout de même réussi à s’enfuir et à se cacher, se nourrissant de pommes de terre (« Jiseul » signifie « pomme de terre » dans le dialecte de l’île de Jeju)

Pour sa troisième réalisation, qui porte sur cet événement historique, le cinéaste a fait des recherches dans les archives et les musées tout en explorant l’ile pour trouver la grotte dans laquelle ont survécu de villageois.

Jiseul est une double réussite :

D’abord il retrace par son scénario la séparation d’un peuple. Il y a clairement deux camps. Celui des militaires qui imposent la violence, et celui de ceux qui la subissent : les villageois, mais aussi des simples soldats qui doivent obéir aux ordres qu’ils jugent parfois cruels ou stupides. Le réalisateur ne veut pas faire un film de guerre classique avec des héros qui combattent pour la liberté au péril de leur vie. C’est pourquoi il ne montre pas des individus mais des groupes. Celui des paysans, solidaires la plupart du temps, en tout cas au départ, cette solidarité est mise à mal par les coups des militaires et finit presque par disparaitre avec la perte des repères sociaux et la montée de l’angoisse au sein de l’espace fermé et exigu qu’est la grotte qui leur sert de refuge. Par contre, le second groupe, celui des militaires, ne fonctionne pas ainsi. S’il est soudé c’est parce que l’ordre y règne par la violence imposée par la hiérarchie. Le film retrace donc métaphoriquement la séparation d’un peuple qui aboutira à la création des deux Corées toujours pas réunifiées à ce jour.

Mais en plus d’être un témoignage historique ce film est une réussite artistique. Avant d’être cinéaste, O Muel a fait des études de dessin et a été peintre, ce qui apparaît dans ce film dont chaque plan pourrait être un tableau. Les noirs et blancs font ressortir la profondeur des plans, les jeux de lumière nous baignent dans des clairs obscurs saisissants voire dans une quasi-obscurité synonyme de désespoir. Et le réalisateur travaille aussi le mouvement, en particulier grâce à des nappes de brouillard et à la fumée, très présente dans le film car significative de l’hommage rendu aux morts. Cette esthétique est donc au service de son sujet, l’absurdité de la guerre, encore plus celui de la guerre civile, et des dégâts qu’elle cause.

Un film beau mais dur, dont le parti pris esthétisant renforce la puissance du message, du témoignage historique et surtout de l’hommage aux morts. Un film à voir sans tarder.

L.S.