Les récits sur l’insoutenable horreur de la bombe d’Hiroshima du 6 août 1945 ne sont pas si nombreux. Il est par définition difficile de narrer l’indicible et d’exposer le traumatisme subit par ceux qui ont survécu à la bombe. En outre, après un tel évènement, il s’est perpétué un syndrome de culpabilité qui rend illégitime tout témoignage. « Pourquoi ai-je survécu ? » se demande celui qui aurait pu mourir. De plus, la méconnaissance des effets des radiations a fait que cette population contaminée, loin de recevoir le statut de victime, a été ostracisée, qu’on a voulu l’oublier et la mettre à l’écart, en la considérant comme un ramassis de pestiférés ou de lépreux quand on ne l'acccusait pas d'exagérer ses troubles. L’occupant américain avait d’ailleurs institutionnalisé ce silence en interdisant dans la presse toute allusion à la bombe par l’intermédiaire d’un « Press code » applicable jusqu’en 1952.

Le film Pluie noire de Shohei Imamura, tourné plus de quarante ans après la catastrophe, est un récit exceptionnel parce qu’il montre sans détour les effets de l’arme atomique et de ses conséquences dans le corps et l’esprit humain.

Dépassant les stades initiaux de la sidération, de la colère et du rejet, le cinéaste japonais prend la mesure du crime en rendant compte de la vie et de la mort des habitants d’Hiroshima et de ses environs, cinq ans après la survenue de "l'éclair qui tue", à travers le récit d’une famille de « Hibakusha » (personnes ayant subies les radiations) réfugiées dans un village de la campagne niponne, et en particulier de la jeune Yasuko. Il s’intéresse alors, en plus de l'effet des radiations à long terme sur la santé, aux répercussions sociales, culturelles et identitaires du largage de la bombe dans un pays aux habitants traumatisés.

Imamura use de tout son savoir cinématographique pour nous livrer des images terrifiantes à côté d’autres d’une sublime beauté. Pluie noire s’avère au final plus un plaidoyer anti atomique plus qu’un film militant. Nature paisible versus nature dévastée, vie tranquille versus l’horreur absolue, le réalisateur parvient sobrement en noir et blanc et en quelques images à montrer la folie de l’espèce humaine. Nous avons à faire à un film émouvant qui nous invite à la réflexion : comment pouvons-nous justifier de telles atrocités et surtout pourquoi n'apprenons-nous pas d'une telle catastrophe ?

Aidé dans son dessin par une interprétation magnifique de tous les acteurs de son long métrage, et choisissant l’absurde et l’ironie plutôt que les larmes et le pathos, Imamura nous livre ici une vision amère de la conduite humaine en nous invitant à ne jamais oublier.

Un chef-d’œuvre à revoir en salles en version restaurée.

Laurent Schérer