Après une parenthèse hollywoodienne de deux films (Nos âmes la nuit et À l’heure des souvenirs), le cinéaste indien Ritesh Batra est de retour à Bombay, sa ville natale et décor de son premier long métrage The Lunchbox. Le film, qui rencontra un succès mondial, racontait une histoire d’amitié improbable entre deux personnages d’âge et de milieux différents.

Le Photographe reprend certains de ces ingrédients : Rafi (Nawazuddin Siddiqui), un photographe ambulant sur les sites touristiques de Bombay fait la rencontre de Miloni (Sanya Malhotra), une étudiante brillante et timide qui accepte par curiosité de poser pour Rafi. La jolie jeune fille au regard fier qu’elle découvre sur le cliché lui redonne confiance en elle, et c’est ainsi qu’elle se prend au jeu de se laisser photographier par Rafi. Ce qu’elle ignore, c’est que ce dernier s’est servi de l’un de ses portraits pour s’inventer une petite amie auprès de sa « Dadi », sa grand-mère qui rêverait de voir son petit-fils se marier. Lorsque Dadi décide de traverser le pays pour venir rencontrer la promise, Rafi se retrouve obligé de confesser son bobard à Miloni et lui demande de faire illusion devant la vieille femme. L’étudiante voit dans ce jeu de rôle l’occasion d’enfin sortir des sentiers battus auxquels sa famille la cantonne depuis toujours…

Ritesh Batra signe une nouvelle comédie dramatique attendrissante dans laquelle les inégalités sociales de la société indienne sont au premier plan. Miloni est issue de la bourgeoisie moyenne de Bombay, celle qui parle un anglais distingué et emploie une domestique à plein temps, un beau personnage proche de l’héroïne de Monsieur, de Rohena Gera, sorti fin 2018, qui, par sa condition, rappelle chaque jour à sa maîtresse qu’elle est une privilégiée. Mais l’intelligence et la bonté de Miloni l’aide à outrepasser ces barrières invisibles qui divisent son entourage. C’est ainsi qu’elle se laisse aborder par Rafi, un homme plus âgé, plus foncé (“noir comme un raisin flétri au soleil” selon Dadi), originaire de la campagne, qui parle hindi et partage un grenier de fortune avec ses collègues eux aussi immigrés. La promiscuité de l’habitacle encourage les fous rires et les confessions, à la différence du vaste appartement de Miloni, qui préfère se terrer seul dans sa chambre plutôt que d’écouter les conversations parentales centrées autour de la réussite et du mariage. Bien que Miloni semble assez rapidement touché par la sensibilité de Rafi, c’est le personnage de la grand-mère qui scellera véritablement le lien. Arrivée de la province profonde avec des anecdotes plein les poches, Dadi représente toute un pan traditionnel de l’Inde que Miloni découvre avec fascination : les voyages de villages en villages, les tenues colorées, le langage... La vieille dame parle sans tabou, et encourage l’étudiante un peu coincée à s’octroyer plus de libertés.

Le Photographe est un joli retour aux sources pour Ritesh Batra, qui dans la lignée de The Lunchbox, pose un regard empli de tendresse sur son pays natal qu’il filme avec respect et intelligence. La ville de Bombay apparaît comme une fourmilière, bruyante et encombrée, dans laquelle les personnages arrivent pourtant toujours à se retrouver et à se montrer, sans effusions, l’amour qu’ils se portent. L’euphorie de leur rencontre, bien que pudique et esquissée, est indéniablement revigorante.

S.D.