Noura et ses trois enfants habitent un quartier populaire de Tunis. Dans le plus grand secret, cette mère de famille entame une procédure de divorce contre Jamel, son mari violent et récidiviste, dont elle est temporairement débarrassé tant qu’il est en prison. Malheureusement, ce dernier se voit bénéficier d’une grâce présidentielle et fait son retour au foyer, pour le bonheur des enfants et le grand drame de sa femme. En effet, Noura préparait son départ avec Lassad, l’homme qu’elle aime, mais pour lequel elle risque cinq ans d’emprisonnement pour adultère, comme le prévoit la justice tunisienne. La jeune femme se trouve alors tiraillée entre un mari de plus en plus suspicieux et un amant très insistant, et qui manque de prudence.

Avec ce premier long-métrage de fiction, la réalisatrice Hinde Boujemaa lève le tabou sur la discrimination des femmes dans la société tunisienne. En effet, même si la loi sur l’adultère prévoit la même sanction pour les hommes que pour les femmes, les plaintes émanent en grande majorité de la gente masculine, bien plus écoutée que celle du sexe opposé. En plus de ses déboires avec la police, Noura voit sa conduite dictée en permanence par des hommes, son mari, son amant, son supérieur hiérarchique… Mais pourtant un paradoxe se dessine assez rapidement : c’est bien elle qui apparaît comme la plus responsable de tous, capable de gérer l’éducation de ses enfants tout en ayant orchestré un déménagement et des démarches judiciaires. Ce qui lui “manque” c’est la cruauté et l’hypocrisie masculine, qui permettent à ses adversaires de toujours s’en sortir. Le film ne tombe cependant pas dans de la misandrie pure, puisque les personnages féminins ont aussi leurs faiblesses, comme cette collègue de travail qui vole son patron, ou Noura elle-même, que l’on aimerait parfois voir dire “non” à Lassad.

Noura rêve se construit presque comme un thriller, tant la tension y est insoutenable, notamment lorsque Jamel est libéré de prison et que sa femme tente de lui cacher sa double vie. Le suspense est d’autant plus dérangeant lorsque l’on sait qu’il s’apparente à des scènes de vie conjugale tristement banales, où la violence et les intimidations sont monnaies courantes. Ce sentiment d’assister à un film d’horreur “pour de vrai” n’est pas sans rappeler Jusqu’à la garde du français Xavier Legrand, qui, sans porter les revendications politiques de Noura rêve, décrivait sans ménagement le même rapport de force au sein d’un foyer, ainsi que l’impact qu’il peut avoir sur les enfants. Comme Léa Drucker et Denis Ménochet, deux grands acteurs locaux se sont prêtés au jeu et offrent un casting surprenant : Hend Sabri, une immense vedette tunisienne extrêmement glamour qui se présente ici sans aucun artifice, (et qui reporte pour ce rôle le prix de la meilleure interprétation féminine aux journées cinématographiques de Carthage 2019) face à Lofti Abdelli dans le rôle de Jamel, humoriste de profession et donc lui aussi complètement à contre-emploi. La Tunisie ne s’affiche pas non plus sous son jour habituel, colorée et ensoleillée, Hinde Boujemaa préférant filmer surtout en intérieur, dans des espaces étriqués ou à la lumière terne du soir.

Déjà récompensé dans plusieurs festivals (dont au Fifib de Bordeaux où il a remporté le Grand Prix), Noura rêve dénonce habilement les travers de la société tunisienne grâce à ses personnages nuancés, autour d’un sujet très délicat qui nous laisse toujours indignés et interrogateurs.

Suzanne Dureau