Chained narre l’histoire d’un couple, ou plutôt s’interroge sur les émotions qui le traversent. Rashi (Eran Naim) est un policier consciencieux, trop peut-être, car, convaincu de son bon droit, il fait preuve de beaucoup de rigidité. Ses qualités, sans doute requises pour exercer le métier qu’il fait, et parce que sa vie professionnelle influe sur sa vie personnelle et vice versa, provoqueront des dégâts. Sur le plan personnel cette rigidité entraînera des relations conflictuelles avec sa belle-fille, jeune adolescente de treize ans en pleine rébellion, et sur le plan professionnel une sale histoire. Avigail (Stav Almagor) est infirmière en EHPAD, mais on en saura moins sur elle. En effet, un autre film à venir, Beloved, présenté comme le pendant de Chained, lui est consacré.

Le réalisateur israélien Yaron Shani filme un microcosme qui se délite, à l’instar d’une société israélienne qui ne sait plus trop où elle va, en particulier suite aux scandales liés aux violences sexuelles dont sont victimes femmes et enfants. Rashi ne semble pas vouloir accepter que le monde qu’il s’est construit diffère du réel, un monde fantasmé pour lequel il travaille chaque jour sans relâche, tant sur le plan professionnel que sur le plan personnel. Malgré les signes que son entourage lui envoie, il ne se résout pas à changer, s’arc-boutant jusqu’au bout sur ses principes, ne voulant pas négocier, refusant tout compromis avec ce qui lui est étranger. Il est ainsi incapable d’ouvrir les yeux sur le fait que sa belle-fille reproduit à son échelle son propre comportement.

Le cinéaste cherche à montrer comment s’effectue la construction (et la destruction) d’un individu, d’une famille, d’une société. Par le biais de l’émotion, Yaron Shani renforce le processus d’identification du spectateur qui se retrouve en immersion, pris entre deux feux dans les disputes entre les protagonistes, souffrant avec eux des incompréhensions de leurs interlocuteurs.

En exposant à l’écran les sentiments plus que les actions, Chained devient une véritable tragédie qui se veut, d’après les dires de son réalisateur, un film cathartique et une thérapie. En faisant de son personnage principal un policier, le réalisateur peut mettre sur un même plan l’autorité paternelle et l’autorité sociale, donnant à son sujet un traitement universel, celui de la place des êtres humains dans un monde qui les dépasse.

Laurent Schérer