Aujourd’hui je vous propose de revenir sur Le Magnifiqueun sommet du cinéma populaire français porté par un Belmondo au meilleur de sa forme. Sorte de Last action Hero à la Française, ce long-métrage est une pure merveille signée Philippe de Broca. Cet ancien assistant de Chabrol et de Truffaut a signé des pellicules aussi essentielles que l’Homme de Rio, qui peut être considéré comme la meilleure adaptation de Tintin (même si elle n’est pas officielle) ou Le roi de cœur, une ode à la folie qui est injustement méconnue. Il était donc temps de revenir sur l'un de ses films les plus mémorables, Le Magnifique, à la mise en scène d’une redoutable efficacité qui s’appuie sur un scénario maniant les mondes imaginaires et la réalité avec une aisance assez extraordinaire..

De Broca confronte deux univers fictionnels dans son film. D’un côté nous suivons la vie assez morne de Merlin auteur stakhanoviste du roman d’espionnage qui incarne le réel. De l’autre côté, le réalisateur nous donne à voir les aventures exotiques de Bob Saint-Clare qui sont le fruit de l'imagination de l'écrivain. De Broca avait l’habitude de dire qu’il n’était pas un artiste, mais un artisan. Peut-être...  Mais quel savoir-faire !  En effet, ces films qui semblent de simples divertissements en apparence sont en réalité complexes et très riches au niveau du discours.

Le réalisateur commence Le Magnifique à la manière d'un James Bond en nous plongeant directement dans le monde parodique de Bob Saint-Clare où tout réussit au héros. Ce super agent secret à la virilité ridicule rencontre la magnifique Tatiana, elle aussi espionne. Ils partent alors enquêter sur la mort d'un espion tué par un requin dans une cabine téléphonique. Il faudra attendre un bon quart d’heure et l’irruption impromptue d’une femme avec un aspirateur lors d'une fusillade pour que le réalisateur nous révèle que l’univers mettant en scène Bob Saint-Clare correspond au monde imaginaire d’un auteur d’espionnage qui s’est inventé un alter ego fictionnel. Celui-ci en effet vit par procuration les aventures de son héros, passant son temps à écrire avec des bouchons d'oreilles, oubliant la date du jour et même la visite de son fils.  La visite de la femme de ménage qui surprend Merlin et qui se retrouve dans alors dans l'histoire de Bob Saint-Clare est essentielle, car elle nous montre comment le réalisateur passe du monde imaginaire au monde réel en employant un acteur ou un objet  dans les deux univers fictionnels pour permettre au spectateur de comprendre que l'on passe du réel à sa version fantasmée. On pense ainsi à ce plombier récalcitrant qui ne veut pas réparer la salle de bain de Merlin ou au méchant Karpov, l’ennemi intime de Saint-Clare qui a les traits de l’éditeur de notre écrivain sans le sou.

Cette mise en abyme de l'imaginaire de l'écrivain n'est jamais gratuite. Dans un premier temps, Broca nous dévoile un Bob Saint-Clare tout puissant qui est le total opposé de son auteur Merlin, écrivain solitaire, pas vraiment heureux, et effacé. C’est l’intrusion dans la vraie vie de la voisine de Merlin qui lui a inspiré le personnage de Tatiana qui va permettre de progressivement inverser les rôles entre l'auteur et son double fictionnel. Le film va alors nous donner à voir un Saint Clare de plus de plus humanisé et ridiculisé et un Merlin qui deviendra de plus en plus sûr de lui comme lors d’une partie de boules où il commence à singer son héros de fiction. Le final avec l’écrivain qui jette par la fenêtre son roman indique que Merlin s’est réconcilié avec lui-même. Son imaginaire n’est plus un rempart contre la réalité, il est devenu un allié pour vivre sa vie. Comme il l’avait déjà fait dans Le roi de cœur, de Broca semble nous dire que la fantaisie doit être vécue, elle n’appartient pas seulement au monde des livres.

Le Magnifique est une réussite à tout point de vue. Son montage est d'une grande lisibilité, la photographie colorée de l’univers très 007 de Bob Saint-Clare est un régal pour les yeux. De Broca fait également preuve d’un dynamisme hors pair. Il a parfaitement compris que dans la comédie, on ne doit pas laisser le temps aux spectateurs de réfléchir c'est pourquoi les gags se multiplient surtout dans la première moitié du film. Mais le réalisateur en grand connaisseur du film d'aventure n'oublie pas non plus de multiplier les lieux et les actions quand il faut conter à l'écran les aventures de son espion d'opérette imaginées par l'écrivain Merlin. Le Magnifique est la conclusion parfaite de sa trilogie de l’aventure commencée avec l’Homme de Rio et Les tribulations d’un chinois en Chine.

Mais au-delà de sa réussite formelle, le film est porté par un Belmondo extraordinaire. L’acteur se parodie avec un plaisir communicatif grâce au rôle de Bob Saint-Clare et déconstruit l’image de gros bras qui lui a collé à la peau durant toute sa carrière. L'acteur s’avère également poignant en Merlin, l’écrivain aux fins de mois difficiles comme dans cette scène où il déclare son amour à la jeune femme sociologue en évoquant sa solitude. C’est peut-être là où Belmondo est le meilleur, il devient terriblement touchant quand on lui enlève tous les apparats virils. Le Magnifique est un film qui déconstruit la figure d'homme action de Belmondo pour l’humaniser.

À ses côtés Jacqueline Bisset est formidable et absolument splendide. Elle n’est jamais un faire-valoir. De Broca fustige les James Bond girls, en faisant d’elle une jeune femme volontaire et maline qui permet à Merlin d’avancer. Son personnage a été réécrit par Rappeneau et de Broca qui n’aimaient pas son traitement dans le scénario initial de Francis Veber où elle n’était pas développée.  L’auteur du Dîner de cons, du Jouet (chef-d’oeuvre trop méconnu) ou de Coup de tête de Jean-Jacques Annaud, refusera alors d’apparaître dans les crédits du film, déçu par les changements apportés à son script.

La Magnifique est un concentré d'humour absurde dont certaines scènes resteront à jamais gravées dans l'inconscient collectif. Que ce soit l'ouverture où notre espion abat un pauvre mexicain dont le seul crime était de tracer une ligne blanche ou la scène de torture dans le temple Aztec avec ces personnages qui s'interrogent sur la santé mentale de leur auteur. C’est un film qui regorge d’idées visuelles et de dialogues nonsensiques qui en font une des plus grandes réussites du genre comique des années 70 auquel un autre monument de l'humour OSS 117, Le Caire nid d'espions rendra hommage en reprenant plan par plan la scène de la piscine.

Je vous invite donc à revoir ce film qui montre que le cinéma populaire français ne fut pas toujours synonyme de comédies navrantes aux scénarios à peine ébauchés avec des vedettes YouTube ou de mauvais animateurs venus de la télé. Le Magnifique est un travail d'orfèvre qui n’a pas pris une ride 40 ans plus tard. Un chef-d’oeuvre du cinéma populaire tout simplement !

Mad Will