Dans un recoin de ce monde est un film d’animation japonais qui retrace un peu plus de dix ans de la vie de Suzu, une jeune habitante d’un village près d’Hiroshima, avant et pendant la seconde guerre mondiale et qui se termine peu après la capitulation. Le film se déroule à la manière d’un journal intime, ou plus exactement d’un carnet puisque la jeune fille est prise d’une passion pour le dessin dès son plus jeune âge. On la voit donc croquer les moments qui l’ont marquée, sa famille et les sorties, puis, au fur et à mesure qu’elle grandit, esquisser puis peindre les paysages et les scènes qui l’entourent. Seule la guerre la privant de papier et de peinture, puis plus définitivement de sa main, l’empêchera de dessiner.

Le sujet principal du film n’est pas le bombardement d’Hiroshima par la bombe nucléaire. Cependant le réalisateur (Sunao Katabuchi)  a su habilement jouer des connaissances historiques du spectateur pour faire monter une tension supplémentaire dans le film en égrenant les dates, tension déjà intrinsèquement palpable dans la deuxième partie du film par les conséquences de la guerre : restriction des denrées et en premier lieu de la nourriture, contrôle accru des déplacements et du quotidien par la police militaire, et surtout les bombardements incessants par l’aviation ennemie. Cette tension met par contraste en valeur la vie quotidienne de la famille et des habitants, leurs émotions, les personnages secondaires ayant une vraie épaisseur, avec ses moments de joie et de bonheur. Une grande place est faite par exemple à la nourriture et à la façon de la cuisiner, la violence et la souffrance dues à la guerre n’en étant que mieux dénoncées.

Le sujet est donc bien la vie de cette jeune femme qui, malgré sa soumission à l’ordre établi, réussit par sa fantaisie et par ses peintures à garder pour elle-même une part de liberté. Par la précision et la qualité du dessin du réalisateur, nous partageons le regard artiste de cette jeune fille qui nous enchante et nous émerveille. Reprenant une remarque de son ami d’enfance, Tetsu, elle transforme, sur la mer, moutons en lapins bondissants. Même au plus fort des bombardements, le regard de Suzu sur les explosions les magnifie en feux d’artifice aux multiples couleurs. Toujours optimiste celle qui se décrit comme distraite au rapport de la norme terre à terre de ceux qui l’entoure, est finalement une personne très pragmatique, courageuse et équilibrée, qualités qui lui permettront de mieux surmonter les épreuves qu’elle subit. La scène finale apportera une sorte de rédemption, ce qui tendra à faire de ce film un récit initiatique familial et donc par métaphore, national. C’est peut-être en partie pourquoi les japonais ont plébiscité ce film qui a chez nous reçu le prix du jury au festival d’Annecy. C’est maintenant à notre tour d’apprécier Dans un recoin de ce monde, film très émouvant, d’une grande sensibilité, qui, malgré un sujet grave, sait le traiter poétiquement.

L.S.