Réalisé par Andrzej Wajda en 1957, Kanal, ils aimaient la vie est un film de guerre qui relate la fin de l’insurrection polonaise contre l’occupant allemand qui dura 2 mois entre le 1 août et le 2 octobre 1944 et se termina par la fuite des résistants polonais par les égouts avant leur capitulation. Loin de l’esprit d’une bataille du rail ou d’autres longs-métrages sur la résistance dans les pays occidentaux, à l’opposé de la glorification des combattants dans les œuvres de propagande soviétique en faveur de l’armée rouge, le film montre plutôt les failles de ces femmes et hommes qui savent que l’insurrection a échoué malgré leur volonté farouche de résistance.

Grande perdante de la Seconde Guerre mondiale (première nation européenne à être envahie militairement par la force, réoccupée par la suite par les troupes soviétiques) la Pologne est absente dans la plupart des films de guerre. En effet, elle symbolise  la mauvaise conscience des Occidentaux qui l’ont abandonnée dès son invasion et n’ont jamais soutenu les mouvements de  résistance par la suite. Quant aux Soviétiques, ils ont fait pire, massacrant les résistants polonais et les troupes de l’armée régulière (massacres de Katyn que Wajda relatera dans un film au titre éponyme).

Même s’il avait su déjà prendre de la distance avec la culture officielle, le réalisateur polonais ne pouvait non plus montrer les combattants sous un jour trop héroïque ce qui aurait indisposé le grand frère soviétique et l’Histoire officielle. C’est ce qui explique peut-être le parti pris intimiste du film qui se déroule en grande partie dans les égouts avec un réalisateur qui s’attache à dépeindre dans une atmosphère étouffante, au sens propre (utilisation de gaz par l’armée allemande) comme au sens figuré, les réactions individuelles des protagonistes entre découragement, peur, folie et suicide.

C’est pour ces raisons qu’il est tentant d’interpréter le film comme une métaphore de l’histoire de la nation polonaise au XXème siècle, condamnée par les années de guerre puis par l’occupation soviétique à vivre sous une chape de plomb et qui ne sera finalement libérée de celle-ci qu’en 1989 après les luttes ouvrières menées par le syndicat Solidarnosc. Mais à l’heure où le film est réalisé, en pleine guerre froide, tout espoir paraît utopique tant le régime prosoviétique est bien ancré et semble indéboulonnable, malgré la mort de Staline.

Utilisant comme pour nombre de ses premiers films les ficelles de l’expressionnisme allemand, avec en particulier l’utilisation d’éclairages qui rendent un clair-obscur de circonstance, Wajda a réussi ici un long-métrage marquant sur cette période. Le jury de Cannes ne s’y est pas trompé, et lui décerne pour ce film le prix spécial en 1957.

L.S.