Paul Théraneau (Fabrice Luchini), Maire socialiste de Lyon, traverse une période de grand vide, lui qui avait pourtant brillé par ses idées débordantes durant de longues années. Pour lui redonner un petit coup de fouet, son équipe engage une jeune diplômée de littérature et philosophie afin qu’elle stimule les neurones du politicien en veille. C’est ainsi qu’Alice Heimann (Anaïs Demoustier) fait son entrée à la mairie avec des consignes assez floues : aider Paul Théraneau à penser. La jeune fille prend cependant son rôle très à cœur, et rédige des “notes” pour le Maire, dans lesquelles elle détaille des comportements politiques dérivés de pensées philosophiques. Elle conseille notamment plus de modestie, qualité que le Maire semble avoir depuis quelques temps égarée. Au lieu de s’offusquer, celui-ci encense totalement sa nouvelle recrue qui devient à la fois sa conseillère et sa confidente. Mais à la mairie, la réussite d’Alice suscite des jalousies et commence rapidement à énerver.

La politique, pourtant l’un des grands sujet favori de discussion des Français, n’occupe plus une grande place dans le paysage cinématographique, même si certains films se sont tout de même dernièrement distingués : on se souvient notamment de l’excellent Exercice de l’État de Pierre Schoeller, de l’expérimental Pater d’Alain Cavalier (2011),  ou du plus récent Chez Nous de Lucas Belvaux (2017). Mais ce que parvient à faire Nicolas Pariser (déjà réalisateur du Grand Jeu en 2015) avec Alice et le Maire se fait relativement rare (on relèvera dans cette catégorie le Quai d’Orsay de Bertrand Tavernier ou le Poulain de Mathieu Sapin) : réaliser un film à la fois très éclairé sur le monde politique actuel (l’état du parti socialiste, les nouveaux enjeux et stratégies de communication) et, en même temps, extrêmement drôle. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une satire mais plus d’une “comédie sérieuse”. En effet, le film ne se réduit pas à une critique moqueuse de la mairie, qui s’apparente plus à un royaume monarchique qu’à une municipalité, ni aux idées grotesques du responsable de la communication. Plus subtil, l’humour se cache derrière la moue de Luchini, au détour de la construction d’un discours, devant les yeux pétillants de Demoustier.

Nicolas Pariser porte une grande tendresse à l’ensemble de ses personnages, leur accordant à tous des failles et des qualités, sans chercher à distinguer les bons des méchants. Par exemple, même si Alice est une femme remarquablement intelligente et admirable, son côté première de la classe qui agace ses collègues atteint parfois aussi le spectateur, lorsqu’elle rafle la mise à Isabelle (Léonie Simaga) sa supérieure et bras droit du Maire, pourtant elle aussi une femme remarquable. La place de la femme dans la politique ou plus largement dans une entreprise majoritairement masculine est d’ailleurs l’une des nombreuses thématiques du film.

De plus, si Alice et le Maire est aussi percutant, c’est qu’il ne se cantonne pas à la somptueuse mairie de Lyon mais se déploie hors les murs, dans la solitude de Théraneau qui a sacrifié sa vie pour la politique, dans les pleurs d’Alice, exemple probant de l’étudiante surdiplômée qui n’a aucune idée de ce qu’elle veut réellement, et surtout dans la détresse des électeurs qui n’ont plus aucune foi en la République. A cet abandon citoyen Nicolas Pariser répond une scène géniale : vers la fin du film, Alice et Théraneau écrivent à quatre mains leur clou du spectacle, un ultime discours sur le climat qui se pourrait être décisif. Sous l’œil inquiet d’Isabelle en arrière-plan, le Maire et sa penseuse sont galvanisés par leurs idées qui fusent, et leur enthousiasme suffit à transmettre une émotion particulière, rare en cette période hostile à la politique,  celle que l’on peut ressentir dans un meeting ou un soir d'élection : l’envie de croire que tout est possible.

C’est en cela que malgré la noirceur de son tableau, Alice et le Maire est un film positif, extrêmement réjouissant, qui arrive à temps pour figurer parmi les meilleurs de l’année.

S.D.