Il y a des films qui se vivent comme des expériences, des œuvres sensitives qui vous touchent jusqu’au plus profond de votre âme. The Rider de Chloé Zhao en fait partie.

The Rider est une fiction qui se nourrit du réel, celui de son acteur Brandy Jandreau, une étoile montante du rodéo qui fut victime d’un accident et qui continua malgré l’avis médical à remonter sur un cheval. La réalisatrice s’inspire de son trajet de vie pour écrire son scénario. Et c’est là la grande force du film, mêler le réel au romanesque, les plans serrés pris caméra épaule aux vues filmées en grand angle. Chloé Zhao ne refuse pas les artifices de la fiction, ne néglige jamais les sentiments. C’est une réalisatrice en pleine possession de ses moyens qui a compris que le cinéma n’était pas la réalité, mais comme tout art une relecture personnelle de notre environnement. De ce fait, elle ne néglige jamais la forme de son film comme dans certaines fictions françaises qui, au nom du réel, abandonnent toute prétention formelle avec pour résultat à l’écran un téléfilm de bas étage. Le romanesque accompagne le personnage, la narration nous questionne avec infiniment de tact sur cet homme qui a perdu sa raison de vivre et qui s’égare dans un boulot alimentaire qui le détruit psychologiquement.

The Rider est un film bienveillant et jamais manipulateur pour créer l’émotion, la mise en scène jamais voyeuriste est rigoureuse et sait rester à bonne distance de son sujet. La réalisatrice nous offre de magnifiques plans larges du Dakota qui magnifient la nature. À la différence des intérieurs plus mornes d’un point de vue chromatique, les images des grands espaces où Brandy Jandreau s’occupe des chevaux sont colorées et empreintes de magie.

Ces choix esthétiques sont là pour nous signifier que Brandy Jandreau fait partie de l’ordre naturel de ces grands espaces qu’il ne peut trouver son équilibre que dans ces terres sauvages.

Le héros du film devient alors la métaphore d’une Amérique qui disparaît, précarisée, parfois moquée, qui est à la marge d’un monde mondialisé qui n’en a rien à faire des chapeaux de cowboy. L’interprétation de Brandy Landreau comme de tous les membres de son entourage est vraiment impressionnante pour des acteurs non professionnels.  On se rappellera longtemps de Lilly, la petite sœur autiste, du père Tim Jandreau, de Cat Clifford, et enfin de Lane Scott entièrement paralysé à cause d’un accident.

Par le biais de la figure du cow-boy, The Rider est une réflexion assez admirable de la masculinité. Le parcours du héros pourrait se résumer à une simple question : Qu’est-ce qu’être un homme ?

Dans ce milieu viril, la réponse pourrait être celle de la figure paternelle réfugiée dans le mutisme, qui subit les évènements sans jamais montrer le moindre ressenti. Pour la réalisatrice, la virilité c’est avant tout accepter d’être vulnérable et révéler ses sentiments, de faire les choses pour soi et non en raison de son environnement tout en acceptant ses faiblesses et sa peur.

Cette leçon donnée par la réalisatrice est d’une grande intelligence, la scène où notre héros simule un rodéo pour Lane Scott fortement handicapé est à ce titre bouleversante. Ces hommes malgré les épreuves essaient de vivre, c’est une leçon d’humilité très forte qui nous est offerte ici.

Quand j’ai découvert The Rider à Deauville, j’avais vu au même moment Katie Says Goodbye. Deux films sur une certaine Amérique abandonnée, mais deux œuvres diamétralement opposées. Quand le deuxième film cité écrase son héroïne en lui faisant vivre les pires horreurs dans un univers outrancier, Chloé Zhao choisit au contraire une grande pudeur. Sachant parfaitement cadrer les scènes, elle ne manipule jamais l’émotion. Son secret : elle aime les gens et nous les fait aimer.

The Rider n’est pas un documentaire, ce n’est pas non plus une fiction classique, c’est encore moins un mélodrame tire-larme. Dans le cinéma de Chloe Zhao, les corps blessés ont remplacé les colts de l’ancien temps mais les grands espaces de Hawks et de Ford sont toujours là. L’un des films de l’année à voir en salles tout simplement.

Magistral.


Mad Will