Frost est formellement le film slave par excellence. Lent, âpre, naturaliste, captant les visages à fleur d’âme, il suit dans leur périple téméraire un jeune couple lituanien traversant le Donbass (l'est ukrainien) en camion pour apporter du matériel humanitaire dans la Crimée attaquée par l’armée russe. Grâce à ses deux protagonistes que la pulsion scopique pousse à vouloir s’approcher toujours plus du front pour arriver à « voir la guerre », le réalisateur Sharunas Bartas montre, à mesure qu’ils avancent, l’envers de cette guerre, ce qu’elle laisse derrière elle en dehors des zones de combat. Radicale entreprise de démythification, ce ‘‘Désert gelé des Tatars’’ (pour parodier le maître apologue de Buzatti) offre à tous les jeunes fascinés par ce phénomène qu’ils n’ont pas connu une leçon implacable : la guerre, il n’y a rien à en voir, il y a juste à en mourir, souvent par derrière, sans connaître d'héroïque affrontement au corps à corps. Pour rien.

F.L.