Aujourd’hui un retour sur un film français d’anticipation et d’action qui compte énormément dans ma cinéphilie. J’imagine déjà certains fans de cinéma déviants se dire oh mon Dieu de la science-fiction française, Mad Will va nous parler de Terminus de William Peter Glenn. Non mes amis, pas de rockeur peroxydé nous rejouant Mel Gibson en mode La vie en héritage. Je ne m’étalerai pas non plus sur l’inénarrable Diesel, un film post apocalyptique mettant en scène l’instituteur préféré des Français, Gérard Klein, dans un futur revu par Thierry Mugler.

Le film mis à l’honneur aujourd’hui est le formidable Prix du danger d’Yves Boisset, vestige d’une époque où l’on proposait dans notre hexagone de vrais divertissements populaires intelligents, bien réalisés proposant un message fort sur nos sociétés sans jamais le faire au détriment de l’efficacité de l’histoire racontée.

Yves Boisset, franc-tireur du cinéma français, signa des pellicules telles R.A.S., qui évoquaient la guerre d’Algérie, mais aussi Le Juge Fayard dit le sheriff ou le très sombre Dupont Lajoie. J’évoquerai enfin Canicule, une remédiation fascinante du polar américain.

Quand on regarde les interviews d’Yves Boisset, on est tout de suite frappé par la grande connaissance du bonhomme en SF et fantastique. Il évoque aussi bien Philip K. Dick que Matheson ou enfin Robert Sheckley dont Le prix du danger est l’adaptation d‘une nouvelle. Passionné par cette histoire autour d’un jeu télévisuel mortel, il lui ne faudra pas moins de 15 ans pour monter le projet et obtenir le budget nécessaire à un film qui compte pas mal de scènes d’action et qu’il désire tourner à Belgrade. En effet, l’architecture stalinienne de certains quartiers lui semblait parfaite pour créer un futur intemporel et impossible à situer d’un point de vue géographique. Boisset a fait le bon choix tant les décors du film permettent au Prix du Danger de passer les années sans paraître trop daté.

En 1983, dans la France Mitterrandienne, le film est mal reçu par la critique. Trop cynique, trop caustique, Boisset est moqué pour une représentation de la télévision jugée irréaliste et peuplée de personnages outranciers.

Il est vrai que nous montrer un présentateur de télévision narcissique à une époque où sur la télé pullulait des Sabatier et Foucaud, c’était déjà trop. Michel Piccoli en animateur démago est magistral dans le film, évoquant un animateur actuel, vedette de C8, capable d’humilier ses comparses en appelant ensuite à la vindicative populaire contre le CSA qui essaye tant bien que mal de conserver quelques règles morales.

Quant à la productrice incarnée par Marie France Pisier, elle fait terriblement penser à une conceptrice d’émissions télévisuelles qui est venue plus tard envahir nos écrans avec des programmes tels que Star Academy et Loft Story, nous expliquant que la téléréalité répondait aux désirs des gens.

Dans Le prix du Danger, l’animateur de l’émission introduit des spots humanitaires pour légitimer le spectacle de la violence de jeu, invitant à donner pour l’Afrique. Le film est encore une fois prophétique puisque la téléréalité a utilisé depuis cette technique en redistribuant un peu d’argent à des associations caritatives durant des émissions où elle flatte les plus bas instincts humains.

Obsession des encarts pubs, casting de candidats répondant à une scénarisation déjà établie, diktat de l’audimat, apologie de la beauferie, à la manière d’Œdipe qui refusait de voir les annonces de l’oracle, la réception critique de l’époque témoigne d’une volonté des médias de ne pas envisager le monde à venir. À ce titre, Le prix du danger n’a pas obtenu de couverture de la télévision en 1983, ce qui prouve une fois encore que ce long-métrage avait dû donner des sueurs froides à des gens de télé qui se sentaient visés.

Beaucoup à l’aube des années 80 critiquèrent le choix de Boisset de mettre en scène un jeu qui pourrait se conclure par un meurtre. Impossible selon eux !

Le prix du danger est une fable d’anticipation. Tout d’abord, en qualité de parabole, Boisset utilisait le meurtre pour dénoncer de manière marquante les dangers de la télévision. Et puis là encore, le futur évoqué par le réalisateur français devient de plus en plus une réalité avec le lamentable The Push disponible sur Netflix dont le concept est des plus simple : un mentaliste pousse un homme à bout au point que celui-ci, filmé par des caméras cachées, envisage de commettre un crime. The Push appartient à une longue liste de programmes flirtant toujours plus dangereusement avec le passage à l’acte comme Russian Roulette. Cette émission diffusée sur Channel 4 demande à un inconnu par l’intermédiaire d’un mentaliste de jouer et de voir s'il se tirera, ou non, une balle dans la tête.

Évoquons enfin en Russie le Game 2 winter, sorte d’Hunger Games où tout est permis (meurtre, viol…). Ce jeu fut annoncé par un milliardaire russe qui quelques mois plus tard annonça que c’était une intox pour tester un nouveau marché. Il déclara alors avec un plaisir non dissimulé que l’écho mondial du projet l’avait beaucoup intéressé et qu’une centaine de personnes s’était portée candidates pour assouvir leurs plus bas instincts. Flirter avec la ligne amènera forcément, à un moment où à un autre, quelqu’un à la franchir. Il reste juste à savoir quand.

Un discours suffit-il à faire un bon film ? Non. Si Le prix du Danger est une œuvre si réussie, c’est que l’écrin esthétique qui l’entoure est à l’égal de son propos. En effet, le film est avant tout un excellent métrage d’action porté par une mise en scène efficace. Boisset emploie un découpage précis qui rend chaque action intelligible. La traque qui ouvre Le prix du danger est à ce titre emblématique de la mise en scène du long-métrage. Les cadres sont précis et l’enchaînement des plans n’est jamais gratuit, le montage propose un réel discours.

Le film commence par des images d’un homme qui se fait traquer par un groupe d’hommes en uniforme bleu. Boisset insère un plan d’un hélicoptère. Le réalisateur filme en plongée l’homme qui fuit. Il n’a aucune chance il est écrasé par l’angle de la caméra. Ses poursuivants sont par contre filmés en contre-plongée ce qui les rend d’autant plus menaçants et les fait ressembler à une meute de loups. Deuxième plan d’un l’hélico sur lequel un cameraman est accroché et filme la scène. Puis au fur et à mesure, grâce au montage, le film introduit des badauds dans la séquence. Vont-ils aider l’homme poursuivi ? Non. Ils se conduisent comme sur le tour de France. Le candidat du jeu se prend une balle, Boisset a stoppé la musique et choisi de faire un gros plan de la plaie.

Le film ne fait pas l’apologie de la violence, l’absence de musique lors de l’impact puis pendant la mise à mort, montre toute l’horreur de la scène sans aucune volonté de dramatisation. Pendant toute l’introduction, Boisset va petit à petit insérer des plans d’écran qui symbolisent le pouvoir de la télévision. Ce dispositif est utilisé durant tout le film, les écrans sont partout dans la vie quotidienne comme dans la scène du bar où Piccoli interpelle les participants du jeu.

Si la réalisation est moins esthétisante que dans les thrillers américains, elle démontre un vrai savoir-faire du cinéma européen avec des cadres soignés et un montage dynamique évoquant des plaisirs cinéphiles tels que Peur sur la ville d’Henri Verneuil.

J’avais évoqué les interprétations de Michel Piccoli et Marie-France Pisier mais c’est l’ensemble du casting qui nous offre une partition impeccable. Gérard Lanvin en héros solitaire qui veut renverser le système est excellent, Boisset utilisant parfaitement son physique et son animalité. Bruno Cremer en patron de télévision cynique touche juste. Enfin Jean-Claude Dreyfus en beau assoiffé de sang qui profite de la télévisons pour libérer ses bas-instinct est inquiétant à souhait.

En 100 minutes, Boisset propose un excellent film d’anticipation qui témoigne de la réussite possible de l’hexagone dans ce genre, au même titre que Les Chiens et Paradis pour tous d’Alain Jessua, Demain les mômes de Jean Pourtalé et le Malevil de Christian de Chalonge,

Dans ce film, Boisset présente une chaine de TV qui se joue des politiques qui n’osent pas remettre en doute une émission populaire qui organise des castings pour instrumentaliser les différentes couches de la population.

Avec son univers mondialisé (le dollar est devenu la monnaie mondiale, le programme est regardé dans toute l’Europe) où le chômage pousse les gens vers la participation d’un jeu mortel, le monde ici décrit est terriblement proche du nôtre. Le final du Prix du danger est à ce titre assez glaçant sur notre société qui se ferme les yeux et qui détruit ceux qui dénoncent les dérives.

Un excellent film de genre français à voir ou revoir !

Mad Will

P.S. : Boisset et les producteurs du Prix du danger porteront plainte pour plagiat contre le film américain Running Man (1987). Si ce film qui mettait en scène Arnold Schwarzenegger était adapté d’un roman de Stephen King qui parlait lui aussi d’un jeu télévisuel mortel, son scénario n’avait pas de rapport avec le roman de l’écrivain du Maine et empruntait beaucoup au script de Boisset qui obtiendra gain de cause devant les tribunaux.