« Il est fou, cet infirmier ! Parfois, ce sont les soignants qui devraient se faire soigner ! » C’est ce que proclame innocemment l’un des patients de la clinique de La Borde, sans savoir qu’il résume ainsi la philosophie de l’établissement très spécial qui l’accueille. Fondée par Jean Oury, cet anti-asile tente de mettre en pratique les préconisations de la « psychothérapie institutionnelle ». Pour cette théorie critique, la psychiatrie se trompe de cible quand elle entend soigner le patient sans s’attaquer à la racine de son mal : son environnement. Ce sont donc nos institutions elles-mêmes qu’il faut faire évoluer pour qu’elles comportent moins de violence. Pour ce faire, l’une des priorités du mouvement antipsychiatrique est de casser le système hiérarchique, en brouillant les frontières entre soignants et soignés. Ainsi, tout le monde est logé à la même enseigne, tout le monde participe au ménage, à la cuisine, aux ateliers artistiques.

   Ce contexte, Nicolas Philibert ne l’explicite pas, ni dans un carton liminaire, ni en voix off. De même, il ne cherche pas à nous donner un point de vue d’ensemble sur la clinique ou à en décortiquer méthodiquement le fonctionnement. Au contraire, c’est à hauteur d’homme qu’il préfère poser sa caméra, pour mettre en boîte des scènes de la vie quotidienne faite, à La Borde, de participation collective à la logistique du lieu et de préparation du traditionnel spectacle de fin d’année. En phase avec la philosophie anti-psychiatrique, il filme de façon confondue soignés et soignants, dans de longs plans séquences qui nous laissent le temps de nous familiariser avec leurs expressions, leur grain de voix, leur personnalité. Là où la psychiatrie traditionnelle ne verrait que des malades étiquetés de tel ou tel diagnostic, Nicolas Philibert voit ou nous incite à voir des individus.

Florine Lebris