Grâce au distributeur Les Acacias, c'est un véritable plaisir de pouvoir retrouver Jean-Pierre Mocky sur les écrans avec une nouvelle série de films du maître qui sera diffusée dans nos salles à partir du 13 septembre. Mad Will vous propose de revenir sur Le miraculé avec Michel Serrault, Jean Poiret, Jeanne Moreau.

Avec Le Miraculé, sorti en 1987, Mocky a rassemblé plus de 800 000 spectateurs en salles, un chiffre que ses longs-métrages suivants n’atteindront plus. Tout comme Agent trouble, réalisé l'année suivante, ce long-métrage demeure l'une des dernières grandes réussites d'un réalisateur qui a continué à tourner par la suite, mais de manière de plus en plus anonyme en raison du manque de budget et de circuits de distribution pour offrir une véritable exposition à son œuvre.

Le Miraculé représentait avant tout le retour sur les écrans d'un duo mythique de la comédie française, Serrault et Poiret, qui avaient au théâtre fait rire la France entière avec La Cage aux Folles dans les années 70, et qui étaient apparus pour la dernière fois à l'écran dans La Gueule de l'autre en 1979. Il est à noter qu'à l'origine Coluche était censé jouer dans le film aux côtés de Michel Blanc. Cependant, suite au décès du créateur des Restos du Cœur, Mocky s'est retrouvé sans acteur peu de temps avant le tournage. Le réalisateur raconte avoir eu l'idée de réunir Serrault et Poiret après avoir lu un article affirmant qu'ils étaient en conflit depuis quelques années. Comme souvent avec Mocky, qui avait un côté bonimenteur, il est difficile de distinguer le vrai du faux, surtout quand il évoque Benny Hill et Marty Feldman comme acteurs envisagés lors de l’écriture. On peut cependant penser que l'idée d'ajouter une icône du cinéma français telle que Jeanne Moreau au casting a sans doute influencé le duo de La cage aux folles dans sa décision d'accepter le film. Il convient de noter que Le miraculé a été coproduit par la Cannon, la société de Menahem Golan et Yoram Globus, qui a financé les films de Vandamme, mais aussi des long-métrages de Godard ou d'Andreï Kontchalovski.

Quand on regarde Le Miraculé, on comprend aisément ce qui a séduit pendant longtemps les acteurs qui travaillaient avec Mocky. Le réalisateur avait en effet l'habitude de leur proposer des rôles très éloignés de leur image habituelle, comme il l'a fait avec Deneuve dans Agent trouble, la transformant en vieille fille mal fagotée, alors qu'elle incarnait à l'époque l'élégance et la mode françaises. Ici, Poiret, que de nombreux réalisateurs exploitaient pour son élégance naturelle, incarne un arnaqueur affublé d'une queue de cheval et d'une boucle d'oreille, s'exprimant avec un langage fleuri. En face de lui, Serrault joue le rôle d'un inspecteur d'assurances muet nommé Fox Terrier, arborant un chapeau melon. Véritable clown auguste, l'acteur fait alors preuve d'un sens comique assez irrésistible hérité du cinéma burlesque des débuts. Si l'on s'était basé sur leur filmographie respective, il aurait semblé évident qu'il aurait fallu inverser les rôles. De plus notre réalisateur n’en est pas resté là dans l’offre des contre-emplois. Une mention spéciale doit être faite à Jeanne Moreau, l'une des figures clés de la Nouvelle Vague, qui se révèle excellente dans le registre comique. Elle incarne avec délice une prostituée en reconversion sous les ordres du seigneur, et rivalise brillamment avec le couple vedette, plus habitué au registre comique et qui jouait ensemble depuis plus de 20 ans.

Prenant la forme d'une course-poursuite à partir du moment où l'agent des assurances se lance à la poursuite de Poiret, qui cherche à tromper les assurances en simulant un miracle à Lourdes, ce film adopte le rythme haletant des plus grandes comédies du maître, telles que La Grande Lessive !. On ne s'ennuie donc jamais, d'autant plus que ce long-métrage parvient toujours à nous surprendre grâce à des détails incongrus, tels que ces frères jumeaux au nez en forme de becs de vautours, ou encore grâce à une séquence qui semble tout droit sortie des Cigares du Pharaon d'Hergé, dans laquelle des paraplégiques cagoulés forment une secte qui juge les bien-portants se faisant passer pour des infirmes.

Le film présente indubitablement quelques défauts, qui deviendront gênants dans les réalisations ultérieures de Mocky, surtout lorsque le réalisateur commencera à manquer d'argent. Dans Le Miraculé, on peut remarquer une moindre inventivité dans le découpage, Mocky se contentant de capturer les performances de ses acteurs. Le film est donc loin d'égaler en termes de réalisation ses œuvres précédentes, même celles des années 80, comme À mort l'arbitre, où sa caméra transcendait les contraintes de l'espace en passant habilement d'un intérieur d'appartement à une coursive de stade où des supporters soulageaient leur vessie.

Au début du long-métrage, on  craint même que Mocky ne suive la voie de Max Pecas (comme dans On se calme et on boit frais à Saint-Tropez...), avec une scène de nudité sans grand intérêt. Heureusement, le réalisateur nous offre rapidement un Mocky plus authentique et plutôt réussi. Ancien assistant de Fellini, il nous propose un univers loufoque où la grossièreté n'est qu'apparente, créant ainsi un spectacle plutôt tendre. Je pense en particulier à cette scène très touchante où Jeanne Moreau donne du plaisir à Serrault. Dans celle-ci, malgré la trivialité de l'action, Mocky la traite avec le même esprit que les cartoons de Tex Avery ou Chuck Jones, évitant toute vulgarité.

En ce qui concerne le prétendu discours du réalisateur contre la religion, il est évident, à la lumière du résultat, que les ultra-catholiques qui ont critiqué le film ne l'ont pas réellement vu. Mocky était un provocateur qui semblait se moquer de tout, mais en fin de compte, il était plutôt un moraliste. Il ne se moque pas des croyants ni n'attaque les religieux pour leur foi. Ce qui le dérange, c'est que Lourdes soit devenue un parc d'attractions exploitant l'espoir des gens pour leur extorquer de l'argent. Dans ce contexte, le film n'est pas une attaque contre Dieu, mais plutôt une œuvre qui oppose Jésus aux marchands du temple, comme le suggère une conclusion que je ne révélerai pas ici, mais qui témoigne beaucoup de la moralité du réalisateur. Une chose est certaine : cet homme aimait son prochain.

Un Mocky vraiment distrayant à voir. Pas à la hauteur de ses classiques des années 60 et 70 mais qui vous fera passer un agréable moment, et c’est là l’essentiel !

Mad Will