Le cinéma espagnol ne produit pas autant de longs-métrages que l'hexagone. Pour autant d’un point de vue qualitatif, il nous offre régulièrement des oeuvres qui feraient blêmir bon nombre de nos cinéastes hexagonaux en termes de scénario et de mise en scène. Distribué en dehors de l’Espagne par Netflix, El Autor vient une fois encore confirmer tout le bien que l'on pense de la cinématographie du pays de Cervantès. À travers l’histoire d’un écrivain raté qui décide d’écrire un livre sur ses voisins qu’il finira par manipuler pour les faire correspondre à ses souhaits, Martín Cuenca nous propose une habile réflexion sur l’auteur démiurge.

Cette réalisation met en scène Javier Gutiérrez que nous avions découvert en France dans La isla mínima et que nous avons revu cette année dans Champions. N’hésitant pas à donner de lui-même en exposant son corps nu devant la caméra dans des positions pas toujours flatteuses, il joue habilement les différentes émotions de son personnage avec une intelligence et une retenue qui font de lui l'un des acteurs européens à suivre. Derrière la caméra, nous retrouvons le réalisateur Martín Cuenca connu pour le long-métrage Amours Cannibales. Ce thriller à la beauté glaçante révélait tout le talent d'un maître de l’épure sachant admirablement rendre à l’image la psychologie de ses personnages. Pour son film El Autor, il s’inspire d’un roman de Javier Cercas dont il décide de tirer une fable acerbe sur notre société où chacun de nous aime à se raconter une histoire pour ne jamais avoir à faire face à ses propres faiblesses.

El Autor manie l’humour noir avec délice tout en accordant une grande humanité à ses différents protagonistes. Son personnage principal Alvaro est tout d’abord présenté comme un être envieux et sans grande imagination qui utilise les autres pour écrire son oeuvre. Pour autant, on ne peut s’empêcher d’avoir une certaine tendresse pour lui. En effet, l’homme cristallise nos envies de grandeur. Son parcours de personnage démontre comment dans notre société égotique, la volonté de dominer l’autre est au centre de nos rapports sociaux. Les stratagèmes minables d’Alvaro ne feront que révéler la médiocrité de chacun des protagonistes du film. Le film montre tout simplement comme chacun construit sa vie comme une fiction dont il est le héros, pour réussir à supporter la médiocrité ambiante. Que ce soit cette concierge en mal d’amour, ce joueur d’échecs qu’on imagine franquiste ou ce couple de Mexicains qui semble bien sous tous rapports, ils sont prêts à tout pour satisfaire leur petite personne. Dans El Autor, le manipulateur et le manipulé sont souvent les mêmes. Des personnages comme le professeur qui invite ses élèves à écrire des romans engagés et qui se vend au plus offrant pour un plat de crevettes ou la femme d’Alvaro qui aime plus son chien que son ex-mari, révèlent nos petits arrangements avec nous-mêmes.

El Autor nous montre que l’acte créatif est avant tout une manière de recomposer un réel qui ne nous satisfait jamais. L’incapacité d’Alvaro à puiser dans ses rêves en raison d’un quotidien morne, l’oblige à contaminer le réel pour imaginer la suite de son histoire. En filigrane, c’est l’histoire de l’Espagne qui est racontée ici. Le pays après le franquisme pensait pouvoir écrire une nouvelle page de sa longue histoire avec l’entrée dans l’Europe qui provoqua un miracle économique. Mais la politique de rigueur et la crise économique qui frappe le pays ont depuis contaminé le moral de ses habitants.

Si la réalisation du film est plutôt sobre et classique, elle nous offre tout de même de beaux moments de cinéma comme dans cette scène où Alvaro tel un metteur de théâtre d’ombres chinoises observe ses voisins par l‘intermédiaire de leur ombre projetée dans sa cour.
Un thriller psychologique autour de la création qui nous propose un portait mordant de notre civilisation occidentale. Un bon film tout simplement que nous invitons à voir !


Mad Will