Entre 1998 et 2001, Olivier Meyrou a infiltré la plus grande romance de la haute couture, le duo Pierre Bergé, Yves Saint Laurent. L’un est intrépide homme d’affaire, l’autre fantasque créateur, et ensemble ils furent à la tête de l’un des plus grands empires de la mode.

C’est sur la pose du pyramidion en tête de l’obélisque de la place de la Concorde, financé par la fondation Pierre Bergé pour Yves Saint Laurent que s’ouvre le documentaire. On y voit Bergé, hissé sur un monte-charge, gesticulant avec énergie en admirant le couvre-chef doré. Pas de trace de Saint Laurent. Le ton est donné : le premier parade tandis que l’autre crée.

Olivier Meyrou se refuse à un traitement linéaire de ses observations durant les dernières années de la maison YSL. Il alterne entre la couleur et le noir et blanc, banni l’ordre chronologique et remplace la musique classique habituelle des défilés par des notes expérimentales. Il capte des moments furtifs mais essentiels à la description de ses sujets. On y comprend l’amour fou de Saint Laurent pour ses modèles lorsque lui apparaît sa muse Laetitia Casta et qu’il sourit pour la première fois. On y subit le tempérament explosif de Pierre Bergé qui pique une crise lorsque trop de photographes s’invitent à un défilé. Ces accès de colères qu’on lui connaît sont justifiés par le laxisme de son amant à la dérive, devenu fantôme, tantôt gênant (lorsqu’il ânonne quelques mots d’anglais lors d’une cérémonie en son hommage), tantôt admirable (lorsqu’il dessine encore, de sa main tremblante, de magnifiques silhouettes sur le papier). On y retrouve aussi le plus fidèle compagnon du styliste et grand représentant de sa solitude : Moujik, le célèbre bouledogue français, qui avait déjà fasciné Bertrand Bonello dans Saint Laurent et dont on raconte qu’il était systématiquement remplacé par un chien identique à chaque fois qu’il mourait. Intemporel animal, à l’image du style de la maison.

Olivier Meyrou compare le tournage de Célébration à celui d’un documentaire animalier, et l’image est juste : tapis dans le showroom, des journalistes attendent toute une journée terrifiés mais fascinés, que ce grand fauve d’Yves Saint Laurent descende de son bureau. Monsieur Bergé en bon maître-chien veille à ce que les conditions soient optimales en libérant au maximum l’espace de toute présence superflue. Quand la caméra réussit à approcher l’animal, on se dit que l’attente valait le coup. Le créateur est tremblant, déjà vieux (il décèdera en 2008) mais animé d’un désir toujours aussi ardent de création. Physiquement, il ne vit plus, l’humain a disparu au profit d’un artiste maintenu vivant par les artisans qui l’entourent. Le film s’attarde sur deux soldats de cette armée de l’ombre, deux couturières à la retraite qui reviennent non sans émotion dans les anciens locaux de leur grand maître, désormais vides, mais réanimés par les deux copines qui convoquent leurs souvenirs. Devant la vidéo de l’ouverture de la coupe du monde de 1998 où des centaines de mannequins forment le sigle YSL elles sont unanimes : « c’est magnifique ». On leur accorde.

Suzanne Dureau