Avec Créatures célestes sorti en 1994, Peter Jackson a accédé à la reconnaissance internationale en remportant le Lion d’argent au festival de Venise et plusieurs nominations aux Oscars. Auparavant, le cinéaste venu de Nouvelle-Zélande était surtout connu par les fans de cinéma d’horreur et de gore avec Braindead, Bad Taste et enfin son Muppet Show version « sex, drug and rock’n’roll » qu’est The Feebles. L’élaboration du scénario de Créatures Célestes qui s’inspirait d’un fait divers sanglant, fut une douloureuse expérience pour Jackson et sa femme Fran Walsh, qui en finirent la rédaction épuisés, aussi bien physiquement que psychologiquement. Alors, de temps à autre, pour se détendre pendant la phase d'écriture, ils commencèrent à réfléchir en parallèle à un pitch de scénario autour d’un médium qui verrait réellement des fantômes. Un premier document de travail fut envoyé à Robert Zemeckis qui recherchait des scénarios pour sa série Les contes de la crypte. À la lecture du script, un Zemeckis enthousiasmé demanda au couple de développer ce scénario en vu d'un long métrage qui serait une déclinaison de sa série au cinéma. De l’aveu même du réalisateur de Retour vers le futur, le script final de Fantômes contre fantômes dépassera toutes ses espérances. Zemeckis qui se souvenait de l’aide de Spielberg à ses débuts, proposera à Jackson de produire le film permettant au réalisateur de Nouvelle-Zélande de faire ses premiers pas à Hollywood.

Avec Fantômes contre fantômes, le réalisateur signe un excellent script mais bourré d’effets spéciaux qui rendent sa mise en image difficile. Il va alors proposer un deal à Universal. Il demande à tourner le film en Nouvelle-Zélande où il pourra utiliser son propre studio d’effets spéciaux. En échange, il tourne le film pour un relatif « petit » budget de trente millions d’euros. Comme George Lucas en son temps, Peter Jackson est un cinéaste dont la carrière est liée au développement de son propre studio d’effets spéciaux. Le réalisateur qui faisait lui-même ses maquillages sur Bad Taste, avait fondé Weta pour s'occuper des effets sur des films comme The Feebles ou Brain Dead. Il crée ensuite Weta Digital pour concevoir ses premières images numériques pour Créatures Célestes. Il voit donc dans Fantômes contre fantômes un moyen de développer sa branche spécialisée dans les images numériques grâce à l’argent d’Universal. La plupart du temps les studios américains ne sont pas forcement amateurs des tournages délocalisés où ils ne peuvent exercer un contrôle drastique, mais avec l’assentiment du réalisateur de Forrest Gump et appâtés par les nombreux crédits d’impôt et la facture très peu élevée des effets, ils acceptent. Leur seule condition : Jackson doit se débrouiller pour faire croire que l’action se passe aux USA. Fantômes contre Fantômes marque le début d’une coopération entre les studios américains et le réalisateur de Nouvelle Zélande qui conçoit ses films avec ses propres équipes dans son pays.

Le tournage du film durera 6 mois, en raison des nombreuses incrustations à réaliser qui nécessitent qu’une scène soit tournée en décors réels puis sur fond bleu. Weta Digital va se doter de nombreuses stations de travail pour réaliser la multitude d’effets numériques sur le film. Jackson se rend alors à Universal avec le montage final et apprend médusé que le studio refuse de sortir le film… à la date prévue, c’est-à-dire Halloween. Soufflés par la qualité du long-métrage, les exécutifs d’Universal prennent la décision de décaler la date de sortie à l’été durant les Jeux Olympiques. Le film se retrouve alors face aux gros blockbusters du moment tels qu’Independence Day. Malheureusement, Fantômes contre fantômes ne marchera pas. En effet, les gens ont déserté les salles pour aller voir les compétitions sportives. De même, le long-métrage souffre du manque de notoriété de Michael J Fox qui a disparu des écrans depuis Retour vers le futur 3 et qui pour la plupart des spectateurs est considéré comme un has-been. Mais l’insuccès du film est aussi dû à la censure. Peter Jackson pensait avoir fait un film qui serait interdit aux moins de 13 ans non accompagnés. La commission de censure l’interdira aux mineurs de moins de 17 ans, synonyme d’un cercle de salles restreint.

Mais que raconte Fantômes contre Fantômes :

En 1990, à Fairwater en Californie. Frank Bannister, ancien architecte alcoolique est devenu médium à la suite de la mort de sa femme, dont il se juge seul responsable. Depuis que le jeune homme est hanté par son passé, il a la capacité de voir les fantômes. Il finit par en abuser en embauchant des « amis » fantômes pour hanter la maison de diverses personnes qu'il rencontre lors d'enterrements ou autres occasions. Mais depuis l'apparition d'un ectoplasme se prenant pour la « Faucheuse », Frank se voit investi de la mission de l'arrêter avant que la ville ne passe sous le courroux de ce fantôme qui s'est nommé juge de la vie et de la mort. Menant son enquête et aidé par le docteur Lucy Lynskey récemment devenue veuve par l'action de cette même Faucheuse (dont Frank aura « exorcisé » la maison la veille de sa mort), le jeune homme finit par découvrir qu'il s'agit de l'ancien tueur en série Johnny Charles Bartlett, qui n'a pas suivi la lumière à la suite de sa mort sur la chaise électrique et a cherché un moyen de continuer ses méfaits tout en étant un fantôme. Mais ce que Frank finit par découvrir le rend encore plus décidé de mener son enquête, c'est que ce fantôme aurait un lien avec son accident passé.

Fantômes contre fantômes est tout simplement l’un des meilleurs scripts jamais écrits par le couple, à la ville et à l’écran, composé par Fran Walsh et Peter Jackson. La caractérisation de chacun des personnages est à ce titre impressionnante. On pense tout d’abord à Bannister interprété par J. Fox qui est loin d’être parfait et qui s'avère fortement attiré par l’argent. Marqué par le deuil, les évènements vont le pousser à devoir agir et lui permettre de révéler une grande humanité. Le traitement des personnages est si riche, qu’un film aurait pu être tourné sur chacun des protagonistes comme avec cet agent du FBI dont on imagine que les expériences dans les sectes ont détruit la psyché.

On se demande vraiment si le couple de scénaristes ne pensait déjà pas au Seigneur des anneaux  en nous proposant un récit ample qui s’articule autour de plusieurs personnages dont on suivra à un moment ou à un autre les pérégrinations. Car Fantômes contre fantômes ne raconte pas une seule histoire, mais met en scène plusieurs récits qui permettent au metteur en scène de varier les genres durant le film. Les différentes histoires finiront par se rejoindre le plus naturellement du monde autour de la figure d’un serial killer revenu du monde des morts et qui depuis le début agit sur la destinée de chacun des héros du film. Le long métrage est à la fois un drame quand il évoque le deuil, un film fantastique gothique avec son ouverture, et une comédie avec ses revenants qui hantent les maisons sur commande et qui semblent tout droit sortir de SOS Fantômes. Jackson a conçu son film comme une carte de visite pour montrer ses qualités de conteur avec un scénario complexe qui reste toujours intelligible pour le spectateur. Mais le réalisateur de Nouvelle-Zélande ne s’arrête pas là et va proposer un festin visuel pour illustrer son histoire avec de nombreux effets spéciaux qui étaient très impressionnants pour l’époque.

Que l’on aime ou pas le cinéma de Peter Jackson, sa mise en scène basée sur le mouvement révolutionne les années 90. À l’instar de Sam Raimi, son cinéma se rapproche des films d’animation dans sa manière de s’affranchir des limites spatiales avec une caméra qui navigue dans les décors. Bien aidé par un montage parfois elliptique, le réalisateur n’hésite pas à recadrer plusieurs fois dans le même plan et multiplie les angles de vue en plongée ou en contre-plongée.  Il n’y a jamais vraiment de repos pour le spectateur. Lorsqu’il se décide à faire durer ses plans, il conçoit alors sa mise en scène comme un ballet où la caméra se déplace en même temps que les acteurs pour happer le spectateur. Sa réalisation fonctionne sur le mouvement et rompt avec la mise en scène à la John Carpenter où chaque plan doit avoir un sens et renseigner le spectateur. Jackson s'appuie sur une succession d’images, le plan n’a plus de sens car c’est le rythme qui compte au final. Grâce à cette approche, Jackson tourne vite. Ce type de mise en scène lui a permis de faire une trilogie de l’envergure du Seigneur des anneaux sur un temps relativement court.

Même si j’aime beaucoup Fantômes contre fantômes, j’ai été néanmoins frappé en le revoyant par le décalage entre une excellente histoire et une mise en scène en mode train fantôme qui abuse des effets spéciaux qui surgissent littéralement de partout. Une réalisation plus posée avec une volonté moins affirmée de montrer un savoir-faire technique aurait permis au film d’être moins marqué dans le temps. Pour autant, grâce à son scénario et des séquences vraiment touchantes où il s’appuie sur ses comédiens, le film ne semble pas aussi désincarné que sa trilogie du Hobbit. C’est à ce titre que je vous invite donc à revoir ce long-métrage qui n’est pas le connu de son metteur en scène, mais qui pourtant s’avère au final l’une de ses œuvres les plus attachantes.

Mad Will