Grâce au distributeur Les Acacias, c'est un véritable plaisir de pouvoir retrouver Jean-Pierre Mocky sur les écrans avec une nouvelle série de films du maître qui sera diffusée dans nos salles à partir du 13 septembre. Vous pourrez ainsi avoir l'opportunité de découvrir ou redécouvrir dans votre cinéma favori : Un couple, Snobs !, Un linceul n’a pas de poches, L’Albatros, L’ibis rouge, Le piège à cons, Y a-t-il un Français dans la salle ? Les compagnons de la Marguerite, Le miraculé, Les saisons du plaisir, Tous flics, La grande lessive (!)).

Parmi les films proposés, je souhaitais évoquer tout particulièrement La grande lessive (!), réalisé par Mocky en 1968. Dans ce long-métrage, on retrouve à l'écran Bourvil dont les performances dans les films de Mocky sont toujours un régal. Cet acteur, qui avait déjà fait des apparitions dans deux chefs-d'œuvre du maître, La cité de l’indicible peur et Un drôle de paroissien, incarne ici un professeur engagé, pour le bien-être de ses élèves, dans une croisade contre la télévision. Ces derniers, apathiques en raison des heures passées devant le petit écran, se montrent incapables de rester éveillés en classe. Notre agrégé de lettres, répondant au nom de Saint-Just, décide alors de saboter les antennes de télévision.

Bourvil appréciait de travailler avec Mocky, acceptant même des cachets réduits. En effet, le réalisateur lui proposait à chaque fois des rôles très différents de son habituel emploi de naïf originaire des campagnes normandes. Dans La grande lessive (!), qui devait initialement s'appeler Le tube, mais dont le nom fut modifié par les producteurs pour capitaliser sur le succès de La grande vadrouille, il se délecte dans le rôle d'un intellectuel résolu à combattre la sottise ambiante. Il offre ici l'une de ses meilleures performances, à l'instar de son rôle dans Un drôle de paroissien. On relève de plus une vraie filiation entre Un drôle de paroissien et La grande lessive (!), les deux adoptant un rythme trépidant avec de nombreuses actions et courses poursuites.

Avec beaucoup de talent (et il en avait beaucoup, j’insiste), Mocky manie comme personne et avec malice les registres comiques dans La grande lessive (!). Passant du comique de situation propre au vaudeville à un comique de mots où les dialogues empreints d'argot rappellent Audiard, le réalisateur n'hésite pas non plus à nous offrir des séquences burlesques flirtant avec l'absurde. Je pense notamment à la séquence du coiffeur ou à ces portes dans le cabinet du dentiste qui ne mènent nulle part. Cette façon de mêler l'humour franchouillard et le nonsense anglais est la marque d'un réalisateur qui offrait des films riches et novateurs dans une comédie française répétant trop souvent les mêmes ficelles.

On associe souvent Mocky à la satire, une évidence quand on regarde La grande lessive (!) où la police, la politique, mais aussi le citoyen lambda en prennent pour leur grade. Pour autant, on oublie souvent d’évoquer la poésie qui émane de ses films. Dans celui-ci je me souviens avec délice de cette scène où des flics deviennent ramoneurs à leurs dépens. Je me remémore également la séquence de la chorale où Bourvil offre un numéro de fantaisiste étourdissant. Enfin, cette séquence, à la limite de l’onirisme, où les péripatéticiennes sont obligées d’exercer leur métier sur les toits, reste pour moi un grand moment de cinéma aux frontières du surréalisme.

On éprouve un plaisir presque enfantin à observer des comédiens chevronnés qui s’amusent comme des fous à l’écran. On peut citer Jean Poiret dans le rôle d'un directeur de télévision, Francis Blanche en obsédé sexuel complètement fou, ou encore Roland Dubillard qui incarne avec truculence un professeur de gym, n'hésitant pas à prendre un petit verre pour se remettre en forme. Même le très sérieux Michael Lonsdale montre un abattage comique qu’on ne lui connaissait que trop rarement. De plus, pour les amateurs de Mocky, on retrouve dans de petits rôles des figures improbables du cinéma, comme R. J. Chauffard ou Jean-Claude Rémoleux.

Fantaisiste en 1968, alors que tous les foyers français n’étaient pas encore équipés de télévision, mais terriblement d’actualité quand on voit l’effet des écrans sur les enfants en 2023, la comédie libertaire La grande lessive (!) de Jean-Pierre Mocky est un régal. Ce n'est peut-être pas le plus grand film de son auteur – on pourrait lui préférer Litan ou La cité de l’indicible peur –, mais c'est tout de même un grand cru à consommer sans modération.

Mad Will

PS : Pourquoi le titre du film La grande lessive (!) s’écrit-il avec un point d’exclamation ? La raison est simple : ce signe de ponctuation a été voulu par Mocky, qui s’opposait au titre désiré par ses producteurs. Ce point d’exclamation était sa manière de signifier son désaccord.