Au nord de la Sibérie (précisément en Iakoutie) vivent Nanouk et Sedna. Totalement isolés dans un désert glacial, ce couple de quinquagénaires vaquent à des occupations locales : pêche pour Nanouk et confection de vêtements en peaux de bêtes pour Sedna. De temps en temps, ils reçoivent la visite de leur fils Chena qui leur apporte les ressources nécessaires à leur survie et leur vante les mérites de la ville. Mais pour les deux Iakoutes, pas question de quitter la yourte, même si l’état de santé de Sedna s’aggrave et que Nanouk est rongé par l’envie de revoir sa fille Aga.

Avant que l’intrigue ne s’installe véritablement, difficile de définir si Aga appartient à la fiction ou au documentaire tant le réalisateur bulgare Milko Lazarov y montre avec minutie les détails du quotidien des Iakoutes traditionnels, leurs habitudes culinaires (principalement réduites au poisson séché), leur rituel pour survivre au grand froid (à son retour de la chasse, Nanouk retire avec l’aide de Sedna les multiples couches qu’il porte à l’extérieur) et leur comportement face aux difficultés qui surviennent (notamment lors d’une impressionnante scène de tempête).

Au-delà de la découverte du mode de vie particulier de ses protagonistes, Aga est un drame familial qui s’articule autour d’un important conflit générationnel. Si Nanouk et Sedna sont brouillés avec leur fille, c’est qu’ils n’ont jamais accepté son départ impromptu pour la ville, et son choix d’aller travailler à la mine de diamants.  Cette décision a renforcé l’isolement des géniteurs, qui en plus de vivre reclus, n’ont presque aucun contact avec leur famille. A l’image aussi, ils apparaissent souvent minuscules et seuls dans des étendues de glace infinie.

Leur choix de vie traditionnelle est en permanence menacée, et pas seulement symboliquement pas les avions qui déchirent le ciel au dessus de leur tête. Ils sont les derniers représentant d’une civilisation disparue et Nanouk, vieillissant, perd la mémoire tandis Sedna soigne comme elle peut une blessure grave au ventre.

Aga est une chronique familiale émouvante, filmé avec simplicité dans un décor naturel à la fois effrayant et merveilleux, où s’affrontent la tradition et le modernisme. Le film prend des allures de manifeste écologique, lors de la  magistrale scène finale, où la gigantesque mine de diamants à ciel ouvert de Mirny apparaît comme un trou béant, une profonde blessure de la terre.

S.D.