Revenons à une époque où Disney ne contrôlait pas la planète, une époque où les héros purs et courageux luttaient contre l’affreux Ming de la planète Mango. Repartons à l’âge d’or du comics où des personnages tels que Dick Tracy ou bien encore Mandrake le magicien agissaient sur la planète terre pour notre salut. Je vous invite ce jeudi à un retour sur un film culte considéré à tort comme « déviant » par des adorateurs d’œuvres sans relief et folie. Je vais aujourd'hui vous entretenir avec mon enthousiasme habituel de Flash Gordon produit par Dino de Laurentiis et réalisé par Mike Hodges. Attention ! Flash Gordon nommé Guy l’éclair en français n’a strictement aucun rapport avec le super héros de DC appelé Flash qui court très vite. Nous ne sommes pas dans le comics de surhomme avec des pouvoirs dépassant l’imagination, mais dans un concentré de SF et d’aventures à l’ancienne.

Mais que raconte Flash Gordon ?

A peine a-t-il fait la connaissance de la ravissante Dale Arden, à bord d'un avion, que Flash Gordon lui sauve la vie en évitant de justesse un dramatique accident. Zarkov, un savant licencié par la NASA, leur explique que les conditions météorologiques épouvantables durant leur voyage ne sont pas dues au hasard. La planète est menacée par des forces extraterrestres qui cherchent à provoquer une éclipse totale du Soleil. Flash et Dale acceptent de monter dans la fusée qu'a construite Zarkov pour lutter contre ces envahisseurs. Mais, à peine propulsé dans l'espace, leur engin est attiré vers la planète Mongo, où règne l'implacable empereur Ming...

Flash Gordon est avant tout un comics signé Alex Raymond créé pour concurrencer une bande dessinée de science-fiction qui rencontrait alors un immense succès à l’époque : Buck Rogers. Alex Raymond est à l’image de son héros : un sportif de haut niveau en mode boyscout qui s’est engagé pendant la guerre pour protéger la mère patrie. Laurentiis acheta très tôt les droits de ce héros de l’âge d’or de la BD américaine né en 1934. Il ne semble tout d’abord pas croire à la viabilité du projet jusqu’à la visite d’un jeune réalisateur américain qui le sollicite pour récupérer les droits. Refus du nabab italien qui conduira l’individu nommé Georges Lucas à créer sa propre mythologie avec La guerre des étoiles. Laurentiis prend conscience du potentiel de Flash Gordon, qui est le récit fondateur du "space opera" (film de science-fiction épique) qui envahit les écrans à l’aube des années 80. Il va engager un budget très important de l'ordre de 25 millions de dollars. Le film au final coutera plus de 40 millions de dollars ! (l’Empire contre-attaque a coûté par comparaison 35 millions de dollars)

Il envisage tout d’abord Nicolas Roeg comme metteur en scène, le réalisateur fou et génial de Ne vous retournez pas et L’homme venu d’ailleurs. Mais au bout d’un an, Roeg est débarqué et remplacé par Mike Hodges, connu essentiellement pour son premier film, le formidable polar urbain La loi du milieu, avec Michael Caine. On sait aussi que Laurenttis aurait voulu que Fellini réalise le film. Choix assez logique quand on sait que le réalisateur italien avait envisagé de mettre en images Mandrake, une autre figure de l’âge d’or du comics. On retrouve ainsi quelques traces du réalisateur italien à travers un personnage de nain portant son nom et surtout la direction artistique flamboyante de Danilo Donati qui œuvra sur son Casanova ou son Satyricon.

Aux effets spéciaux, il engage l’expérimenté George Gibbs, qui œuvra sur le second Indiana Jones ou Roger Rabbit, et Glen Robinson, vénérable artisan qui commença sur le Magicien d’Oz. Enfin au casting, s’il choisit deux inconnus pour jouer nos deux héros, il les entoure d’acteurs solides, que ce soit Max von Sydow, Topol (un des acteurs israéliens les plus connus), Ornella Muti, Timothy Dalton ou enfin Brian Blessed (une figure du théâtre anglais).

Un budget monumental, des techniciens avertis, un acteur falot pour jouer Flash (qui ressemble beaucoup au personnage de la BD) entouré par des valeurs sûres du cinéma européen. Ce Flash Gordon a été considéré à sa sortie comme un concurrent sérieux à la trilogie de Star Wars. Le nabab italien va pourtant connaître une déconvenue terrible au regard du budget dépensé. Sans être un bide comme son trop sous-estimé Dune,  le film ne marche qu’en Italie et en Angleterre. Néanmoins, avec le temps, cette œuvre est devenue culte grâce à des films comme Ted qui le cite abondamment. De même, des artistes tels que le réalisateur Edward Wright ou le dessinateur Alex Ross le considèrent comme leur long-métrage préféré.

Ce qui est fascinant quand on regarde Flash Gordon c’est qu’au regard de son budget et de son équipe technique prestigieuse, le visuel alterne entre le sublime et des effets spéciaux dignes d’une série B totalement fauchée, avec ces hommes serpents en collant vert et au masque en carton-pâte. Certaines incrustations sur fond bleu mettant en scène les hommes oiseaux sont totalement ratées et bien en deçà du Star Wars de 1977. Pour autant, quand on revoit le film en Blu-ray aujourd’hui, on s’extasie aussi devant certains décors construits en dur où chaque centimètre carré est recouvert de dorure. Dans Flash Gordon, le beau se mêle au ridicule, les effets à la Méliès à des fonds bleus dernier cri. Quand on lit les anecdotes de tournage, on comprend vite que le tournage du film fut une entreprise semblable à la mythique tour de Babel. Flash Gordon a été tourné par des équipes italiennes et anglo-saxonnes qui ne communiquaient pas. Sur le plateau, les traducteurs sont dépassés, ils ne possèdent pas le langage technique requis. Un peu mégalomaniaque, Danilo Donati le directeur artistique dépense sans compter et construit parfois des décors sans se soucier que la caméra puisse y rentrer !

Pour autant, les décors majestueux aux couleurs dignes d’un Mario Bava et les costumes flamboyants sont vraiment la grande force du long-métrage. Si l’on peut regretter les problèmes de communication qui font que certains effets spéciaux sont ratés, la vision artisanale de l’équipe italienne, peu en adéquation avec la technologie moderne, donne au film un visuel unique. Flash, c’est un mélange de sublime et de laid, de magnificence et de grotesque, de héros en slip de cuir un peu gay et de sublimes robes sexy portées par Ornella Muti. C’est l’opposition entre un cinéma de techniciens venus du monde d'IBM et un cinéma inspiré des beaux-arts classiques et de l’orfèvrerie.

Pour écrire son scénario, Laurentiis a engagé Lorenzo Semple Jr., connu pour avoir scénarisé les 3 Jours du condor, le King Kong des années 70 et qui œuvra dans sa jeunesse sur la série Batman. Son Flash Gordon entretient à ce titre des points communs avec les aventures de l’homme aux oreilles de chauve-souris des années 60. Le film use également de dialogues à double sens assez rares dans les films tout publics. On se rappelle avec délice d’Ornella Muti en mode Vamp italienne où chacune de ses phrases invite à la luxure. À ce titre, la rumeur voudrait que Laurentiis, n’ait pas compris toutes les subtilités du scénario en anglais, ce qui donnerait ce ton assez unique au film. Néanmoins, par rapport au Batman des années 60, le film ne se vautre pas dans l’ironie, et malgré un sous-texte parfois comique, la naïveté et la sincérité de l’œuvre orignale sont conservées. Si Mike Hodge ne savait pas trop gérer les effets spéciaux du film, il a réussi avec ses acteurs à ne jamais franchir la frontière du ridicule.

À la différence d’un Star Wars qui s'inspire du religieux pour légitimer son monde à travers le mythe des Jedis, Flash Gordon revient à la simplicité des pulps des années 40, ne voulant pas être plus sophistiqué ou intellectualisant que son modèle en BD.

Enfin, il y a un argument imparable pour aimer ce film : sa musique signée Queen. Le groupe anglais multiplie les morceaux de rock de haute volée, dont la chanson éponyme Flash qui colle parfaitement à l’univers.  Queen qui maniait la grandiloquence avec génie, nous offre ici une bande originale digne d’un opéra rock où la batterie, la guitare et le clavier participent pleinement à l’action représentée à l’écran.

Flash Gordon c’est aussi film qui a réussi à rompre avec l’esthétique grise des Star Wars qui a phagocyté l’imagerie de la science-fiction depuis plus de 40 ans.

Au final, Flash Gordon est un long-métrage précieux où les artistes se sont lâchés pour le meilleur et parfois le pire. En 2018, les financiers n’engagent plus que des techniciens sans âme, des êtres obéissants qui reproduisent sans cesse le même produit. Flash Gordon est un film différent, loin d’être parfait, mais tellement singulier au regard de la production contemporaine qu’il mérite amplement une place dans votre panthéon cinématographique.

Mad WIll

PS : Le film est disponible en VOD chez TF1 VOD et CANAL VOD