Petit traité en « Lyncherie » par le professeur émérite Mad Will.

Proposer une critique de deux œuvres aussi emblématiques de l’univers Lynchien que sont Eraserhead et Twin Peaks : Fire walk with me, est une gageure, un exercice difficile, une épreuve réservée aux critiques suicidaires.

Attention Spoiler !

Son œuvre est un labyrinthe où de nombreux critiques se sont perdus dans une recherche de sens qui ressemblait parfois plus à de l’astrologie que du cinéma.  Je vais tenter à mon tour cette quête de l’impossible, et endosser tel un agent du FBI, mon pardessus pour découvrir le monde du mystérieux David.

Le plus simple pour comprendre son cinéma est de revenir aux premières minutes de Twin Peaks : fire walk with me. Ce film prenait la suite de la série culte produite par CBS. Ce show avait été le théâtre de nombreux désaccords entre ses créateurs, le duo Lynch / Mark Frost, et les directifs de la chaine. Un mauvais souvenir pour le cinéaste qui une fois de plus après Dune avait souffert de la mainmise de la production sur son œuvre. Le générique du film est à ce titre révélateur avec une télévision qui explose. Nous ne ferons pas face à un nouvel épisode de la série avec ses impératifs commerciaux en termes de narration, mais à un film du maître qui va recréer une œuvre originale avec des éléments épars de l’opus télévisuel. Le cinéaste nous introduit ensuite à son univers à travers une scène onirique où deux agents du FBI interprétés par Chris Isaak et Kiefer Sutherland, rencontrent sur le tarmac d’un aéroport leur supérieur Gordon Cole (interprété par Lynch) et une femme à la rose bleue. À la suite de cette échange, Chris Isaak explique à son collègue la signification réelle des évènements qui viennent de se passer. Les étranges circonvolutions de la femme qui semblaient au premier abord toutes absurdes avaient pourtant une signification bien précise. Cette scène est un mode d’emploi du cinéma de Lynch qui n’est pas structuré autour d’une narration classique, mais fonctionne plutôt par signes.  On a souvent réduit le réalisateur américain à un cinéaste du rêve. Cette affirmation n’est pas fausse, mais elle me semble incomplète. Incapables d’accepter le réel, ses personnages se construisent des versions fantasmées de celui-ci. La scène du viol de Laura Palmer par son père est à ce titre révélatrice. Elle parle de Bob, l’esprit du mal qui vient la tourmenter chaque soir. C’est au moment même où Bob se transforme devant ses yeux en son père, où elle accepte de regarder son agresseur en face que son destin est alors scellé : elle mourra sous les coups de son père.

Son cinéma ne dit jamais autre chose que ce qu’il montre à l’écran, il suffit d’accepter que son univers place au même niveau la réalité et les images mentales. Il est le cinéaste de la perception. Il n’y a pas une réalité, mais des réalités qui appartiennent à chaque esprit humain.

Dès sa première réalisation Eraserhead, nous retrouvons cette ambiance glauque, le son extrêmement travaillé et son goût pour l’incursion d’éléments surréalistes. Une étrange scène de cabaret annonce même les rideaux rouges et le carrelage en damier de Twin Peaks. Portée par un noir et blanc superbe, magnifiée par la version restaurée de Potemkine, cette métaphore des angoisses de la paternité est un chef-d’œuvre inclassable qui montre un réalisateur mettre en place un univers.

Quant à Twin Peaks : Fire walk with me, le film est pour le cinéaste, l’occasion de se réapproprier une œuvre précédemment écrite pour la télévision avec Mark Frost. Lynch fait de ce métrage une version hypertrophiée de sa série, plus violente, plus cruelle dans ses rapports humains. L’objet cinématographique devient un cri de rage. Il plonge dans l’esprit torturé de ses personnages, révélant l’horreur intime que la censure de la télévision américaine l’empêchait de montrer à l’époque.  Après avoir dû lutter pour sa liberté artistique depuis Dune jusqu’à la série Twin peaks, la version en 35 mm de sa série est l’œuvre d’un homme qui a retrouvé le « Final Cut » grâce à la société française Ciby 2000 et qui clôt avec ce film la première partie de sa filmographie. Après Eraserhead, il avait tenté d’exporter son étrangeté à Hollywood en alliant onirisme et récit plus classique.  Twin Peaks : Fire walk with a été pensé comme un retour à son premier film, abandonnant toute narration classique pour revenir à son cinéma allégorique de ses débuts. Chemin qu’il prolongera à travers Lost Highway, Mulholland Drive, Insland Empire ou même la nouvelle saison de Twin Peaks actuellement diffusée sur Showtime.

Deux pièces fondatrices du cinéaste à revoir d’urgence pour appréhender l’univers si particulier de David Lynch.

P.S. : Pour ceux qui s’interrogent toujours sur la « rose bleue », présente dans le film Twin Peaks : Fire walk with me et dans la série. Là encore la réponse est d’ordre sémiologique, la rose bleue n’existe pas dans la nature. Dans l’univers Lynchien, elle s’apparente à la folie qui menace tous ses personnages qui à force de déconstruire le réel par l’imaginaire, finissent par remplacer définitivement la réalité par leurs fantasmes.

Mad Will